Rencontres, débats, concours photo… L’édition 2024 du forum «Naturellement !», organisé à Rouen par la fédération Biogée du 6 au 8 décembre 2024, aura pour thème «la forêt et l’humanité». Interview du chercheur Nicolas Viovy, présent lors du forum.
Comment travaillez-vous ?
Nous faisons partie de l’Institut Pierre-Simon-Laplace qui regroupe plusieurs entités de recherche autour du climat et de l’environnement. Dans notre laboratoire, nous nous penchons sur l’interaction entre climat et végétation. Nous modélisons le cycle du carbone dans la biosphère grâce à un outil, «Orchidée». Il permet de simuler la réponse de la végétation au climat. Le principe est simple : nous représentons les grands ensembles de plantes en séparant les arbres des herbacées. Puis les conifères, des feuillus, les décidues ou les feuillages persistants, ainsi que les trois grandes zones climatiques : boréale, tempérée ou tropicale. Nous y appliquons les principaux paramètres météorologiques : les températures, les précipitations, le rayonnement solaire, le vent, la pression… Puis le modèle simule les processus biologiques, depuis la captation du carbone jusqu’au retour du CO2 dans l’atmosphère : la photosynthèse, la production de biomasse, la respiration des plantes afin de comprendre quels seront les effets sur la végétation.
A partir de vos travaux, peut-on faire un zoom sur l’état de la forêt en France ?
En termes de superficie, elle se porte bien. Avec la déprise agricole, sa surface a augmenté, notamment en montagne. Jusque dans les années 2000, le changement climatique a eu des impacts plutôt positifs. L’augmentation des températures a permis à la végétation de croître plus tôt, de connaître une période plus longue de photosynthèse et de produire davantage de biomasse. L’émission de CO2 a aussi eu un côté fertilisant. En outre, beaucoup de forêts ont été plantées après la Seconde Guerre mondiale. Elles sont jeunes et constituent des puits de CO2. Pourtant, nous arrivons à un point de basculement. Les étés deviennent trop chauds et secs. Le sol se dessèche. Les forêts dépérissent et n’arrivent plus à se reconstituer. Les conséquences ne sont pas encore visibles mais cela les fragilise. Les incendies prennent plus vite. Elles se font attaquer par des parasites. Si l’arbre est en forme, il se défend. S’il est faible, il finit par mourir.
Cette évolution va avoir un impact sur les essences présentes ?
Un certain nombre ne sera plus adapté. Le hêtre par exemple qui est relativement fragile ou le pin Douglas, très présent. D’où l’importance de planter des espèces du sud comme le chêne vert ou le pin maritime. Même si au sein d’une espèce, des adaptations génétiques vont se produire. Dans beaucoup de zones, on peut prévoir un remplacement progressif au profit d’essences plus résistantes. Même si nous ne sommes sûrs de rien. Nous supposons que certaines sont plus adaptées mais il faut rester modeste. Bien sûr, il y a de gros débats sur la façon de procéder. Intervenir ou pas et à quels degrés ? Est-ce que les forestiers coupent les arbres avant qu’ils ne meurent afin de replanter d’autres espèces ? Cela crée des coupes rases, qui détruisent la fertilité des sols et fragilisent encore plus la forêt. Des associations comme Canopée soutiennent des approches plus progressives, sans coupe rase et donc moins rentable à court terme. Observer prend du temps, mais une chose est sûre : le meilleur atout reste la biodiversité. Plus une forêt sera mixte, plus elle sera résiliente.