L’été, j’admire notre jardin derrière les vitres, tapi dans l’ombre du salon. Les canicules de plus en plus fréquentes et ma charge de travail contribuent certainement à cet enfermement, mais ce sont les attaques de moustiques qui me donnent l’estocade. Pendant ce temps, mon épouse Bénédicte jardine en robe et se moque des petits bêtes.
Le fait est : les moustiques m’aiment. Mes talents de séducteur d’insectes alimentent les plaisanteries familiales, pourtant l’affaire est sérieuse : les moustiques transportent une demi-douzaine de terribles maladies (malaria, dengue, fièvre jaune, encéphalite japonaise, chikungunya, Zika), dans les pays tropicaux et de plus en plus sous nos latitudes. Des études scientifiques d’un raffinement croissant permettent de comprendre comment les moustiques localisent, approchent et piquent leurs proies, et pourquoi certaines personnes se font dévorer par ces insectes, plutôt que d’autres.
A l’Université de Washington, notamment, l’équipe d’Adam Blake et Jeffrey Riffell a mis en place un important dispositif expérimental : un tunnel de 2,2 mètres de long et de 60 x 60 cm de section, parcouru par un flux d’air de 40 cm par seconde, propice au vol des moustiques. Ce volume est quadrillé par 16 caméras, permettant d’enregistrer les mouvements des insectes. Au sol, une alternance de bandes de tissu blanches et noires perpendiculaires à l’axe du tunnel, sur lesquelles un éclairage LED projette des cercles de lumières à différentes longueurs d’onde. En amont de ces cibles colorées, un régulateur de débit permet de manipuler la concentration en CO2 de l’air pulsé, son humidité et sa teneur en effluves humaines. Afin de capter ces odeurs corporelles, les scientifiques ont utilisé des chaussettes en nylon, portées une demi-journée.
Il serait facile, et gravement injuste, de prétendre que ces recherches puent des pieds. En vérité, elles révèlent le raffinement complexe de la navigation des moustiques vers leur cible. L’étude de Blake et Riffell (1), à l’instar de nombreux travaux (2), confirme que les moustiques sont fortement attirés par le CO2 et l’humidité de nos respirations. De plus, comme le raconte Adam Blake «lorsque les moustiques sentent le CO2, leur système visuel s’active et ils sont attirés par les objets sombres et très contrastés». En effet, je me souviens avoir vu des T-shirts noirs constellés de moustiques, préférablement dans le dos là où ils peuvent piquer tranquillement.
Comme beaucoup d’insectes, les moustiques ont des yeux constitués de centaines d’ommatidies, des unités visuelles de huit cellules photosensibles. Chez les moustiques, chaque région de l’œil est munie d’ommatidies réceptrices de différentes longueurs d’onde. Les mesures de Blake et Riffell montrent que ces capteurs sont activités en fonction des odeurs perçues : quand les moustiques reniflent des fleurs telles que les tanaisies communes, ils tendent à s’approcher d’objets jaunes et verts, correspondants à leurs couleurs. En présence d’odeurs humaines, par contre, les moustiques restaient sensibles à toutes les longueurs d’onde, comme en alerte générale.
Les maîtres piqueurs sont alors particulièrement réceptifs à certaines odeurs corporelles, notamment celles chargées en acide carboxylique. Ce composé est issu du métabolisme des graisses et du sucre, et des micro-organismes de notre intestin. Nous sommes donc particulièrement attirants pour les moustiques après un bon gueuleton, surtout s’il est arrosé d’alcool. Les moustiques réagissent également positivement à l’acétoïne, un composant généré par les micro-organismes de notre peau, dont l’odeur est proche de celle du beurre. Nous serons donc peut-être moins piqués après une bonne douche. Finalement, les moustiques sont attirés par les vapeurs d’eucalyptus présents dans bien des lotions censées les repousser, indiquant leur coévolution de longue date avec les humains.
Ces nouveaux résultats permettront de perfectionner les pièges à moustiques disponibles dans le commerce, qui n’utilisent actuellement que du CO2, une forte odeur de pied et parfois des infusions de plantes attirantes pour les moustiques femelles à la recherche d’un repas sanguin avant la ponte. Les auteurs proposent notamment d’ajouter des stimuli visuels, susceptibles d’augmenter l’efficacité de ces dispositifs.
Là où les moustiques sont vecteurs de maladies, les barrières physiques (vêtements imprégnés, moustiquaires) demeurent essentielles, ainsi que les vaccinations des personnes vulnérables, notamment les enfants. Un vaccin efficace à 75 % contre la malaria sera bientôt enfin disponible.