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Sports d'hiver

Pour les stations de ski, une saison sur la mauvaise pente

Malgré un calendrier favorable, les stations font face à un recul des réservations et de la fréquentation des pistes, dû en partie au déficit d’enneigement, L’occasion de diversifier leurs activités et de revoir la philosophie du «tout ski».
Le skieur Enak Cavaggio, en hors-piste dans la station d’Arêches-Beaufort, en décembre 2012. (Pierre Morel/Divergence)
par François Carrel, correspondant à Grenoble
publié le 2 décembre 2023 à 4h19

La saison des sports d’hiver poursuit sa mise en route à un bon rythme, avec l’ouverture ce week-end des domaines skiables de La Clusaz, des Grands Montets, de Méribel, de l’Alpe d’Huez, de Chamrousse, de Villard-de-Lans, de Montgenèvre ou encore de ceux de la majorité des stations des Pyrénées. Ces stations suivent de près Val Thorens, Tignes et les Deux-Alpes qui ont pu démarrer dès novembre, grâce aux chutes de neige massives de la première quinzaine du mois. Si ce coup de blanc automnal a donné le sourire au secteur, qui en a profité pour diffuser largement de belles images de montagne enneigée, le manteau neigeux n’a ensuite tenu qu’à haute altitude. En dessous de 1500 à 2000 mètres, il a fondu très vite, lessivé par les pluies et une remontée des températures, scénario devenu courant avec le dérèglement climatique… qui retarde au passage l’entrée en fonctionnement des canons à neige.

Le secteur retient son souffle : l’hiver dernier avait été le moins enneigé depuis soixante ans. Le déficit d’enneigement à la fin du mois de février «avait atteint un record quasi absolu sur tous les massifs à l’exception des Alpes du Sud», rappelle Domaines skiables de France, la fédération des exploitants des stations, qui pointe un recul de 5 % de la fréquentation des pistes, malgré le retour marqué de la clientèle étrangère, notamment britannique, absente depuis l’épidémie de Covid.

Calendrier des vacances favorable

Cette saison, la prudence règne, même si l’Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) annonce un taux d’occupation prévisionnel national à +2,5 % pour la première semaine des vacances de Noel (52 % contre 51 % l’an dernier) et à +8 % sur la seconde. Une progression – qui doit beaucoup à un calendrier des vacances de Noël bien plus favorable au tourisme de séjour que l’an dernier avec deux vraies semaines comprenant des jours fériés – qualifiée de «plutôt positive» par Jean-Luc Boch, maire de La Plagne-Tarentaise et président de l’ANMSM, mais il précise qu’elle ne «laisse rien présager de l’ensemble de la saison».

Cette tendance nationale sur les réservations masque par ailleurs de fortes inégalités entre grandes stations d’altitude qui progressent et stations-village de moyenne montagne, en léger recul. Face à l’incertitude d’enneigement qui pèse particulièrement sur ces dernières, Jean-Luc Boch martèle le nouveau mantra du secteur : «Les conditions météo parfois changeantes au cours de l’hiver incitent les stations à s’adapter très rapidement pour proposer aux vacanciers des conditions de séjour optimales. Ainsi l’offre d’activités n’a jamais été aussi large.»

L’exemple de la station savoyarde d’Arêches-Beaufort est parlant : «Nous avons pratiquement un vacancier sur deux qui ne skie pas, une proportion qui croit légèrement, souligne Frédéric Blanc-Mappaz, directeur de l’office du tourisme. Nous sommes un village où l’on fait du ski mais pas seulement : on vient ici “à la montagne”, pour le cadre, l’ambiance, le village, le ski de randonnée ou en raquette, les visites des fermes et du patrimoine…» Il annonce un taux prévisionnel d’occupation moyen en légère hausse pour ce début d’hiver, de 1 %. Arêches-Beaufort peut effectivement compter sur la vitalité de sa population permanente et de son agriculture, ses beaux villages préservés, son développement poussé du ski de randonnée, atouts dont elle fait une promotion active, mais le directeur de l’office du tourisme ne se voile pas la face : «Nous avons la chance d’avoir un bon enneigement, y compris l’an dernier : le ski reste le déclencheur du séjour et le cœur de notre économie.»

Plan drastique pour diviser les charges

Si les grandes stations et des stations-village privilégiées comme Arêches-Beaufort ont fait une bonne saison l’an dernier, cela a été plus compliqué pour les stations de moindre altitude touchées de plein fouet par le déficit d’enneigement, synonyme de baisse de fréquentation. Domaines skiables de France résume les conséquences : «L’augmentation très forte des charges (énergie, salaires, investissements) sans progression du chiffre d’affaires produit un effet de ciseau sur les comptes des sociétés de remontées mécaniques.» Nombre de stations de moyenne montagne sont dans le rouge, soutenues à bout de bras par les collectivités.

C’est le cas de la station historique d’Autrans-Méaudre, dans le Vercors isérois. Cet hiver sera déterminant pour le futur de ses domaines de ski alpin. La régie municipale qui gère les domaines d’Autrans et de Méaudre affiche un déficit prévisionnel de près de 700 000 euros, alors qu’elle n’a réalisé un chiffre d’affaires que de 500 000 euros l’an dernier faute d’enneigement continu. Elle est au bord du gouffre, menacée de mise sous tutelle à très court terme si l’Etat ne vient pas à son secours. Pour le convaincre, la mairie a mis en place un plan drastique pour diviser par deux ses charges d’exploitation, dont son personnel : Méaudre ne tournera que pendant les vacances et les week-ends de janvier, et sur les deux domaines un quart des pistes ne seront plus desservies par des remontées ni damées, pour devenir parfois des espaces dédiés au ski de randonnée. Christophe Lebel, directeur de l’office du tourisme du Vercors, défend cette «réduction de voilure», une «adaptation pragmatique» : «L’essentiel de la station reste desservi, par les remontées structurantes. Vous pourrez skier en alpin, même si le domaine est réduit, et en nordique, qui fonctionne toujours bien.» Il constate une baisse des réservations sur ce début d’hiver, sans surprise : «Il y a une perte de confiance de la clientèle purement skieuse, qui s’est démobilisée.» Le futur tient à la clientèle de séjour familiale, moins skieuse, attirée par la pleine nature et d’autres activités : «Nous devons la séduire et la convaincre, en assumant que le ski n’est plus l’élément essentiel de notre attractivité, mais une de nos richesses, parmi d’autres.»

Au-delà de l’enneigement, si les moins de 20 % des Français qui souhaitent partir en vacances à la montagne cet hiver hésitent à réserver en station, c’est aussi en raison de leur «situation financière», pour 48 % d’entre eux selon les chiffres du cabinet G2A, expert référent du secteur. L’inflation est très sensible dans le secteur : après de fortes hausses l’hiver dernier, le coût des forfaits grimpe encore partout cet hiver, comme ceux de la restauration et du matériel. Pour la location d’appartement, le comparateur Ski Express estime à +9,5 % la hausse par rapport à l’an dernier, en moyenne nationale, avec des situations allant d’une baisse de 11 % dans les stations pyrénéennes à une hausse de 6 % dans les Alpes du Nord et de 25 % dans celles du Sud. Un handicap de plus pour un secteur du ski menacé d’une profonde crise structurelle dans les décennies à venir.