A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.
Les constructions neuves ne représentent chaque année qu’une part infime des bâtiments qui nous entourent : la ville de demain est en grande partie déjà là, visible sous nos yeux. L’adaptation passe donc d’abord par la réhabilitation de ce qui est présent ici et maintenant, plutôt que par de nouveaux projets ex nihilo, aussi exemplaires soient-ils – et ils le sont rarement. Pour cela, il nous faut réapprendre à aimer notre monde, et en même temps à le réparer. L’un ne va pas sans l’autre.
Dans notre imaginaire commun, il y a aujourd’hui la nécessité de nous préparer aux soixante-dix ans qui viennent, et de ne pas baisser les bras. Nous réalisons actuellement à quel point ce qui nous arrive va bien au-delà de nos projections passées, et à quel point nous savons peu de chose. En Martinique, mon atelier travaille, avec Antoine Petitjean, à relocaliser un village du littoral en partie menacé par les submersions marines. Je vois l’adaptation comme une réponse au présent et aux prochaines décennies, tandis que la réparation concerne les siècles à venir.
En tant qu’architecte et urbaniste, j’essaie d’agir avec «ménagement», c’est-à-dire en faisant attention à ce qui est là (et à ceux qui sont là !). C’est une rupture forte avec la logique d’«aménagement» encore très ancrée, qui relève d’un rapport productiviste au territoire. Bien sûr, ce «ménagement» doit être circonstancié. Car en France comme ailleurs, le territoire est très varié : la diversité est un universel ! L’effet d’îlot de chaleur n’appelle pas les mêmes réponses dans une ville métropolitaine et dans un espace semi-dense. Construire une autre façon d’être au monde exige, en chaque lieu, de renoncer aux solutions génériques pour apporter une attention et une tendresse singulières.
A rebours de l’impératif de performance qui a longtemps prévalu (les bâtiments devaient être «passifs», de «basse consommation», à «haute performance énergétique»), s’adapter exige à la fois frugalité et robustesse. Il s’agit de faire mieux avec moins, tout en défendant une certaine solidité, une capacité à durer et à résister aux aléas climatiques. Cela peut se traduire simplement, par des protections au soleil qui évitent la surchauffe de l’existant, par une prise en compte de l’environnement du bâti, par une ventilation naturelle grâce à des logements traversants, où chaque pièce compte une fenêtre… Car si les systèmes complexes (pour ventiler ou produire de l’énergie, tels que les panneaux photovoltaïques) peuvent être performants, ils ne sont en aucun cas robustes – autrement dit, ils tombent souvent en rade.
Cet idéal de robustesse est aussi social. Le déjà-là est un monde habité : on ne le changera pas sans les gens qui y vivent. L’adaptation ne doit pas tomber d’en haut : les injonctions, comme l’est aujourd’hui la sobriété, sont inopérantes. Inciter à «consommer moins», c’est nier que beaucoup sont exclus de la consommation. C’est en se parlant, encore et encore, qu’on se met d’accord. La bataille est là, sur notre capacité à habiter ensemble – et c’est loin d’être la question des seuls architectes et urbanistes.