Le dernier recensement agricole de 2020 montre une perte majeure de la population agricole, qui va de pair avec un agrandissement des exploitations. Ce phénomène marquant a un lien évident avec l’industrialisation de l’agriculture. L’accroissement de la productivité passe en effet par des économies d’échelle, donc par l’agrandissement – aux dépens du voisin. Plus une exploitation est vaste, plus elle a tendance à s’enfermer dans un modèle industriel, avec une forte utilisation d’intrants, une mécanisation importante permise par l’endettement, et donc une main-d’œuvre moins nombreuse.
Il est très difficile de sortir de ce modèle, et d’aller vers une agroécologie s’appuyant sur les écosystèmes pour produire. Cela d’autant plus que la logique industrielle est soutenue nationalement par le syndicat majoritaire, mais aussi, de façon délirante, par le ministère de l’Agriculture, et appuyée de facto par la Politique agricole commune. En bref, aujourd’hui, plus vous êtes grands, plus vous touchez de primes – et tant pis si vous ne vivez que de primes !
Interview
Historiquement, la ruralité française était peuplée de paysans, mais aussi de petites industries et d’entreprises artisanales de transformation de produits agricoles. Mais après la Seconde Guerre mondiale, les campagnes françaises ont été spécialisées dans l’agriculture. Désormais, alors que le nombre d’exploitations chute – 400 000 en 2020, soit 100 000 de moins qu’en 2010 – les zones rurales se vident d’actifs, d’activités, et souffrent d’un accès dégradé aux services publics. En privilégiant l’efficacité de l’investissement financier sur toute autre forme de réflexion quant aux capitaux mobilisés, l’économie de la production a conduit à la destruction du tissu social, en même temps qu’à celle de l’environnement. C’est vrai, ces dernières années, des améliorations s’observent : les produits chimiques sont mieux dosés qu’il y a trente ans. Mais leur usage reste impératif au sein de ce modèle dit «conventionnel», et cela d’autant plus que les paysages se simplifient.
Aujourd’hui, il faut un changement total de modèle. Faire advenir cette rupture passe par la revitalisation des espaces ruraux, et par une agriculture qui mobilise l’ensemble des capitaux sociaux, culturels, financiers et naturels du territoire. Le prix du foncier reste un obstacle considérable, de même que l’apprentissage du métier. L’agroécologie exige des compétences spécifiques, dont les détenteurs sont trop peu nombreux pour assumer la formation de toute une nouvelle génération agricole. Dès lors, comment imaginer une inversion des mécanismes actuels de désertification des campagnes ?
Une ruralité au sens d’«espace de vie» doit être réinventée, menée par les collectivités et les communautés humaines locales, et pourquoi pas, appuyée par un nouveau ministère du Développement rural, remplaçant l’obsolète ministère de l’Agriculture. Le changement de modèle rural est l’affaire de tous.