La petite chronique du fiasco des droits TV du foot français n’en finit plus. Après l’affaire Médiapro, qui avait déjà vu la Ligue française de football (LFP) rompre son contrat avec son diffuseur en pleine pandémie de Covid, c’est désormais son successeur Dazn, qui jette l’éponge. Un accord vient certes d’être trouvé après des mois de litige. Les dernières échéances de la saison vont être versées, tandis que la procédure engagée par le nouveau diffuseur pour «tromperie sur la marchandise» face au faible nombre d’abonnés (500 000 après avoir cassé les prix, contre 1,5 million espérés) est abandonnée. En échange, le contrat courant normalement jusqu’à 2029 va prendre fin.
Le règlement des 140 millions d’euros dus offre une bouffée d’oxygène, mais le répit sera de courte durée. La LFP envisage désormais de créer sa propre chaîne pour diffuser les matchs de Ligue 1, mais rien ne dit qu’elle sera plus attractive, ni que les recettes ainsi générées seront plus équitablement réparties alors qu’elles profitent aujourd’hui surtout aux grosses écuries. Les clubs professionnels connaissent un déficit d’exploitation chronique d’1,2 milliards d’euros par an, que peinent à compenser la vente de leurs talents aux plus grands championnats européens. La manne financière issue des droits TV a été dilapidée dans des salaires insoutenables, les transferts et le désendettement des clubs, plutôt que de la consacrer aux investissements dans les infrastructures et le développement.
Et le foot continue de faire diversion. Ainsi des derniers comités Théodule qui ont été créés. Que cela soit les «groupes de travail» lancés par Philippe Diallo, président de la Fédération Française de Football (FFF), et la ministre des Sports, Marie Barsacq, pour «repenser» le modèle économique du foot. Ou la soudaine activité du Conseil national de l’éthique et de la déontologie, rattaché à la FFF qui demande une déclaration d’intérêts aux principaux dirigeants des instances du foot français, alors que le rapport Savin du Sénat a soulevé la question des conflits d’intérêts dans l’attribution des droits TV.
Actionnariat populaire
La financiarisation menace aujourd’hui les clubs, les soumettant à des intérêts de court terme et à des arbitrages lointains. Près de la moitié des clubs de Ligue 1 sont aujourd’hui détenus par des fonds d’investissement. Les Girondins de Bordeaux en ont par exemple fait les frais, rétrogradés en National 2 (quatrième division) avec la perte de leur statut professionnel, le licenciement d’une centaine de salariés et une dette de 100 millions d’euros. Et la folie du foot business gagne jusqu’au foot amateur, où les catastrophes se multiplient, comme l’illustre le cas du FC Libourne en Gironde, liquidé au bout de deux ans après sa reprise par un investisseur qui a surendetté le club.
Il est urgent de réguler le foot français grâce au plafonnement des salaires, à l’encadrement de l’actionnariat ou à la démocratisation des clubs et des instances. Et ce sont les supporters qui montrent la voie. Avec l’actionnariat populaire d’abord, comme l’EA Guingamp qui a ouvert son capital aux Kalons ou le projet des Socios Verts d’entrer au capital de l’AS Saint-Etienne. Avec les coopératives ensuite, qui associent les supporters, les collectivités territoriales et des investisseurs locaux pour reprendre tout ou partie des clubs comme au SC Bastia ou au FC Sochaux-Montbéliard.
Ce n’est que par une révolte de la base que tous les passionnés pourront de nouveau faire leur cette citation attribuée à Albert Camus : «Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football.»