La démocratie ne se porte pas au mieux, on ne compte plus les voix s’élevant pour parler d’une fatigue, voire d’une crise démocratique. Indéniablement, nous assistons à une crise conjointe de représentativité et d’efficacité de nos institutions et de nos modes de gouvernance. Mais une autre crise passe plus inaperçue, la crise de croissance : nos concitoyens, toujours plus éduqués et informés, n’ont pas seulement besoin d’élus plus représentatifs et de politiques plus efficaces, ils ont surtout besoin d’être associés aux décisions qui les concernent, plus souvent et au plus près de leur quotidien. Si ce qui est perçu des bénéfices démocratiques des élections ne cesse de baisser, c’est aussi parce que ces dernières ne suffisent plus aux attentes d’une démocratie continue, dans tous les domaines de la société.
C’est pourquoi le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a voulu, dans son dernier rapport annuel sur l’état de la France (RAEF), documenter le ressenti de nos compatriotes et apporter des perspectives. Le principal enseignement à en tirer est l’inquiétude toujours plus forte quant aux inégalités, qu’elles soient réelles ou ressenties, liée à un doute croissant sur la capacité de la démocratie à les résorber.
C’est d’autant plus préoccupant qu’une vraie démocratie ne peut s’accommoder d’un excès d’inégalités : le pouvoir au peuple suppose le sentiment d’un destin commun et non la cohabitation de groupes qui tendent à faire sécession socialement, économiquement et géographiquement. Il y a quelques mois, le baromètre du Cevipof, étude de référence sur la question démocratique, révélait déjà que deux tiers des Français jugeaient que la démocratie fonctionnait mal, mais aussi que 43 % estimaient que moins de démocratie permettrait davantage d’efficacité.
Nous ne devons pas nous contenter d’une démocratie formelle, purement institutionnelle. Nous devons nous attacher à l’esprit de la démocratie plus qu’à la lettre : démocratiser la construction des décisions par l’association des corps intermédiaires et la participation citoyenne, ce que le Cese incarne en tant que troisième assemblée de la République, mais aussi aider à démocratiser la société. Aucun sujet ne peut ni ne doit, par principe, échapper au débat citoyen : école, logement, dette, santé, travail, immigration… Dans bien de ces cas, passer les sujets clivants et polémiques dans la sphère politique au tamis de la société civile permet de les «refroidir» et de les dépassionner. C’est ce que nous avons su faire, entre autres, sur des sujets comme le cannabis, la fin de vie, l’acceptabilité de la transition énergétique, la gestion de l’eau, l’intelligence artificielle, ou encore la sobriété et le modèle de croissance.
Ce dernier sujet me paraît emblématique des vertus du débat : tant que nous campons sur des positions rigides, entre «croissancistes» et «décroissancistes», nous ne prenons pas la mesure des évolutions du monde, des limites planétaires, des conditions du maintien de notre modèle social, du besoin de nouveaux indicateurs de richesse, de l’assurabilité des biens, ou de la santé environnementale et du passage à une économie de fonctionnalité.
Porteur de propositions sur tous ces sujets et tissant des liens entre eux, s’appuyant le plus souvent sur les citoyens, le CESE, assemblée de la société civile, est à même d’offrir des voies de passage et d’aider à bâtir un récit démocratique pour une nouvelle prospérité. L’intelligence et l’expertise d’usage, la concertation approfondie, font aussi partie, me semble-t-il, des vertus d’une démocratie en acte, cet «art de la conversation» dont parlait le philosophe américain John Dewey.