Jeunesse, transports, logement, biodiversité… En 2025, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près du quotidien des citoyens. Dernière étape de notre édition 2025 : Marseille, les 10 et 11 octobre.
L’environnement n’est pas neutre socialement : plus l’on est précaire et plus l’on a de chances de subir de plein fouet les désagréments de sa domestication et de sa destruction. La pollution sonore aux abords des aéroports constitue une bonne illustration de cette idée : elle frappe et abîme d’abord la vie des populations que les contraintes foncières et financières rendent captives. Nous pourrions développer les mêmes raisonnements à l’égard des pollutions de l’air, olfactives ou visuelles : disposer de ressources financières suffisantes permet de s’isoler de telle autoroute bouchée, de telles émanations industrielles ou encore de tels paysages défigurés par la bétonnisation. C’est là l’un des grands impensés de l’écologie politique : dans un régime extractiviste, assignation géographique et sociale se nourrissent mutuellement.
En conséquence, si elles veulent avoir une vertu sociale et redistributive, les mesures adoptées pour protéger l’environnement doivent avoir une obsession : améliorer la qualité de la vie quotidienne. Comment faire ? Il existe de nombreux outils de contrainte qui peuvent mettre fin aux pollutions diverses, mais ils ne suffisent pas toujours à permettre à chacun de profiter véritablement de la nature. Car c’est cette expérience sensible différentielle, entre ceux qui peuvent jouir des plus beaux aspects de la nature et du grand air et ceux qui sont relégués à ses marges, qui constitue le premier ferment des inégalités. Rappelons qu’un enfant issu d’un quartier défavorisé à de fortes de chances de ne pas entendre les bruits de la mer ou de la forêt avant ses 5 ou 6 ans.
Face à cette inégalité du sensible qui lézarde la société, l’une des réponses doit être d’offrir à chacun, selon un mot d’Elisée Reclus, le «sentiment de la nature». Les politiques publiques, tendues vers des trajectoires froides, occultent trop souvent cette dimension intime de la vie. Or, les études s’accordent à démontrer qu’une expérience précoce du vivant conditionne à la fois l’engagement écologique et la perception de la nature : l’enfant qui grandit à son contact la défendra plus tard, tandis que celui qui vit dans un milieu appauvri en fera la norme du vivant.
Offrir à chacun la possibilité d’éprouver une nature non pas défigurée mais saine et prospère, c’est donc former les générations écologistes de demain. Mais ce n’est pas tout : la proximité à la nature réduit également la durée de convalescence, les taux d’absentéisme ou encore la violence entre personnes ! Un citoyen vivant dans un espace débordant d’activités humaines et industrielles, sans possibilité d’établir un lien sensoriel avec le monde qui l’entoure, est ainsi privé pour partie de perspectives d’émancipation et d’émerveillement. Il n’est toutefois pas trop tard pour intégrer cette crise de la sensibilité à la crise écologique. Il nous faut imaginer un nouveau chapitre des politiques publiques, des politiques «éco-sensibles». La première d’entre elles s’impose comme une évidence : pour tous les jeunes vivant au milieu de tours de béton, que l’absence de ressources financières ou culturelles prive d’une connaissance approfondie du vivant, l’Etat doit pouvoir renouer avec l’ambition d’un service public des classes vertes. Une autre mesure pourrait consister à doter toutes les écoles primaires de potagers, tandis que plus de 80 % des enfants ne savent pas identifier une betterave.
Certes, une sensibilité accrue à la nature ne mettra pas, seule, fin aux inégalités environnementales. Mais elle aura le mérite de corriger le miroir déformant que les activités humaines donnent de la nature. Et peut-être feront-elles naître des vocations pour la protéger !