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Précarité alimentaire : l’urgence d’un sursaut collectif

Travailler ne protège plus de la faim. C’est une réalité qui témoigne d’une crise sociale et démocratique, analyse Yann Auger, directeur général d’Andès, les épiceries solidaires, Groupe SOS.

«L’alimentation devient la variable d’ajustement des budgets.» (Pablo Chignard/Libération)
Par
Yann Auger
directeur Général d’Andès, les épiceries solidaires
Publié le 10/10/2025 à 5h06

Jeunesse, transports, logement, biodiversité… En 2025, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près du quotidien des citoyens. Dernière étape de notre édition 2025 : Marseille, les 10 et 11 octobre.

Cet été, l’Insee a jeté une lumière sur la réalité sociale de notre pays : près de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont 650 000 supplémentaires rien qu’en 2023. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques, ce sont des vies fragilisées. «Nous n’avons pas de quoi être fiers collectivement» de cette montée en puissance de la détresse sociale, déplorait récemment Anne Rubinstein, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. En parallèle, le Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) révélait que plus d’un Français sur deux restreint désormais son alimentation. Près de 10 millions de nos concitoyens se privent lourdement : portions réduites, impossibilité de consommer régulièrement des protéines, inquiétude permanente de manquer de nourriture… L’alimentation devient la variable d’ajustement des budgets, avec des conséquences directes sur la santé et sur le sentiment d’appartenance à une classe défavorisée.

La pauvreté alimentaire n’est plus seulement l’affaire des sans-emploi ou des familles les plus précaires. Elle touche aussi des travailleurs pauvres : une réalité longtemps ignorée, mais désormais incontestable. Selon une enquête Ipsos commandée par Andès en 2025, 53 % d’entre eux ne mangent pas à leur faim. Plus grave encore, 22 % déclarent devoir priver leurs enfants d’un repas. Comment accepter qu’un emploi ne protège plus de la faim dans notre pays ?

Les habitants des quartiers prioritaires ne sont pas épargnés, comme le montre une nouvelle enquête publiée par Andès. Plus d’un sur deux déclare se restreindre régulièrement, et saute des repas. Pourtant, leurs aspirations sont claires : s’ils en avaient les moyens et que la faim n’était plus un problème, ils choisiraient davantage de produits frais (45 %), locaux (35 %), bio (24 %). Comme chez l’ensemble de nos concitoyens, la volonté de s’alimenter sainement et durablement est bien présente dans cette catégorie de population.

Ces réalités convergent : la précarité alimentaire se généralise et élargit ses frontières. Elle nourrit un sentiment d’exclusion et de marginalisation, aggravé par la honte qui empêche beaucoup de recourir à l’aide existante. Aujourd’hui, seulement 28 % des personnes en précarité alimentaire osent franchir la porte d’une association. Les autres se débrouillent, se privent, s’isolent. Cette situation ne constitue pas seulement une crise sociale : c’est une menace pour notre société. Car que reste-t-il de notre modèle social quand des millions de citoyens doivent choisir entre payer leur loyer ou manger ?

Dans un contexte de contraintes budgétaires fortes, il serait tentant de considérer ces dispositifs comme des variables d’ajustement. Ce serait une grave erreur. Investir dans l’accès digne à l’alimentation, c’est investir dans la santé, dans la cohésion sociale, dans la République elle-même. Des dispositifs comme les épiceries solidaires ont un véritable impact direct et mesurable au quotidien. La précarité alimentaire est révélatrice. Elle nous dit que notre société ne protège plus comme elle le devrait. Cela nous oblige à agir autrement, collectivement, pour que plus jamais un travailleur, un étudiant ou un enfant n’ait à se coucher le ventre vide.