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Libération
Reportage

Près de Lyon, «une grande tablée pour faciliter les liens» au restaurant le Faitout

Dans cette cantine solidaire, les prix sont rendus accessibles aux moins aisés par les micro-dons effectués par ceux qui le peuvent. L’établissement propose aussi des locaux pour accueillir des structures de l’économie sociale et solidaire.
Inauguration du tiers lieux le Faitout à Lyon, en juin 2023 (Le Faitout)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 30 octobre 2024 à 4h24

A l’occasion des rencontres nationales des tiers-lieux à Toulouse, retour sur ces endroits où se construisent des projets collectifs favorisant l’économie circulaire, l’insertion, l’alimentation durable…

Le menu est simple mais réjouissant, ce jeudi d’octobre. Des crudités bien assaisonnés, une salade verte croquante et une tranche de cake. Puis un risotto servi avec de la courge butternut rôtie et quelques brisures d’amande. En dessert, une part généreuse de moelleux au chocolat et à la patate douce. Montant de l’addition ? 13 euros – quand le prix d’un plat du jour seul dépassait 15 euros en 2023 en France, selon l’Observatoire de la restauration. Au Faitout, la note peut devenir solidaire si les convives acceptent de faire un «micro-don» au moment de la payer. En rajoutant quelques euros, qui seront redistribués à des partenaires afin que d’autres personnes (étudiants, résidents en foyer et en centre d’hébergement d’urgence, femmes isolées, bénéficiaires des minima sociaux) puissent se régaler du buffet fait maison, chaque jour différent, en ne déboursant que deux euros par repas.

Ouvert depuis un an à Oullins, dans la métropole de Lyon, ce tiers-lieu «engagé et gourmand» souhaite porter «une vraie dimension d’inclusion des mangeurs», explique son directeur, Baptiste Peycelon, éducateur spécialisé et économiste des organisations. Dans le plan de salle, «on essaie toujours d’avoir une grande tablée pour faciliter les liens». Il y a «l’idée d’être ouvert sur le quartier en transition» pour accueillir les travailleurs des bureaux, nombreux aux alentours, mais aussi de faire en sorte que «les personnes qui n’ont pas les moyens aient moins peur de pousser la porte» de la cantine du Faitout. Le nom du lieu a d’ailleurs été décidé par les habitants impliqués dans le projet, soit une trentaine de membres actifs et une quinzaine de bénévoles.

Ce restaurant solidaire sert aujourd’hui une trentaine de couverts le midi en semaine et le don, pratiqué par la «grande majorité» des convives, s’élève en moyenne à trois euros. Un coup de pouce essentiel pour démocratiser une «cuisine bio et durable, des produits de saison, en circuit court, des préparations végétariennes et véganes, dans une démarche zéro déchet», précise Marie-Amandine Vermillon, psychologue sociale et cofondatrice du Faitout. Installé dans une ancienne cantine de cheminots, en bordure d’un quartier marqué par son passé industriel, le lieu lumineux est né de l’élan commun de deux associations, Singa Lyon, qui œuvre à l’inclusion des personnes migrantes, et Bellebouffe, engagée au service de la justice alimentaire, dont Marie-Amandine Vermillon est également cofondatrice et coordinatrice.

«L’alimentation est la thématique mère de la transition écologique et solidaire, elle donne les moyens de traiter la diversité des enjeux», souligne cette dernière, avant de rappeler qu’en France, «16 % des personnes ne mangent pas à leur faim et 16 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté». Alors, puisqu’«on ne peut plus continuer comme on le faisait avant», ce fil rouge doit être «un vrai levier pour reprendre la main sur nos systèmes de production et faire société autrement».

Le Faitout fait en outre office de tremplin professionnel pour des personnes éloignées de l’emploi, en formation ou en reconversion. Lors de cette première saison, 38 stagiaires ont été accueillis en immersion en cuisine et au service en salle. Cette volonté d’insertion passe aussi par des «résidences culinaires d’entrepreneurs qui ont un parcours d’exil et qui veulent se lancer dans la restauration», explique Marie-Amandine Vermillon. Cet été, trois soirs par semaine, le Faitout a mis le pied à l’étrier à une cheffe éthiopienne, Lydia Habtamu.

Pari doublement relevé : «Le challenge était de composer une recette végétarienne et de s’affranchir de la grande distribution professionnelle en mettant à sa disposition notre catalogue de fournisseurs», explique Marie-Amandine Vermillon. «Et c’était un test d’ouvrir le soir, pour voir si ça répondait ou non à un besoin de lien social», complète Baptiste Peycelon. La réponse est oui, et le Faitout espère proposer quatre résidences gastronomiques «en service continu» durant cette année. Hormis les fourneaux, on trouve également au Faitout des salons, une terrasse et un jardin partagé. A l’étage, quatorze structures de l’économie sociale et solidaire sont implantées en coworking, avec un tarif «à prix coûtant» pour leur permettre «d’accéder à du foncier et monter des projets collectifs». Concours de soupe, musique, yoga, art, jeux, tables rondes et, depuis peu, marché mensuel de produits frais : pas de doute, sourit Baptiste Peycelon, «on est vraiment cette grande casserole où on mijote ensemble».