Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. Libération, partenaire de l’événement, proposera jusqu’en avril 2023 articles, interviews ou tribunes sur les sujets abordés. Première conférence lundi 14 novembre avec Marion Séclin (actrice, scénariste et réalisatrice) et Sophie Bramly (photographe et autrice) que nous avons rencontrées.
«Les femmes peuvent-elles sauver la planète ?» «La virilité, fierté ou boulet ?» ou encore «transition de genre, la société suit-elle vraiment ?», voici quelques-unes des questions posées par le Mucem à Marseille pour sa deuxième édition des «Procès du siècle». Le cycle de conférences du musée aborde cette année les «Féminismes, genres et minorités» avec une interrogation principale «Où en est-on ?». Le premier débat sur le féminisme a lieu entre Marion Séclin, comédienne et scénariste, et Sophie Bramly, photographe et autrice.
De façon générale, peut-on trop lutter pour une cause ?
Marion Séclin : Non, je pense difficilement. On peut avoir des colères qui poussent à avoir des comportements moins diplomates mais je ne pense pas qu’on puisse trop vouloir être respectée et trop vouloir d’égalité.
Sophie Bramly : Je ne crois pas qu’il puisse y avoir excès mais il peut y avoir maladresse. Dans l’histoire du féminisme, il y a eu des tentatives d’aller dans une direction et ça a pu avoir des effets pervers. Peut-être que j’ai l’avantage des plus vieilles, de l’expérience, donc je peux avoir des instants critiques.
Pensez-vous que l’on peut être trop féministe ?
S.B. : Je suis inquiète notamment par le côté victimaire, qui est un défaut de notre époque. Tout le monde se plaint de quelque chose et une partie du féminisme actuel repose là-dessus. Ce n’est pas mon approche. Je trouve les femmes belles quand je les vois conquérantes, je trouve les deux genres intéressants quand ils sont équilibrés. Il y a une forme de masculinisme qui revient de façon très dérangeante, poussé par un féminisme qui fait peur et des femmes qui pour certaines ont peur de leurs ombres.
Dès qu’un homme est soupçonné, il est guillotiné sur la place publique, même de manière virtuelle. Je comprends que ça les effraie. Je trouve ça préférable de regarder les choses de façon plus modulée. Par exemple, dans le cas des femmes battues, il existe aussi des femmes qui battent des hommes. C’est plus intéressant de montrer que ça existe de part et d’autre même avec un fort déséquilibre.
M.S. : Non, on ne peut pas. Considérer que le féminisme ne recherche pas l’équilibre, c’est une erreur. On ne peut pas répéter toutes les deux secondes «attention c’est pour être égaux», pour rassurer les hommes. Oui, c’est beau quand c’est équilibré mais pour y arriver il faut que les hommes se taisent cinq minutes. Les femmes ne sont pas menaçantes. De quoi ont-ils peur ? Y a-t-il des crimes féministes ? Non, il y a des féminicides. Ils n’ont pas vraiment peur, ils ont peur de perdre leurs privilèges, de faire de la place. Ils se trompent, ils y gagneraient aussi. Il y a possiblement des manières d’agir «extrême» et encore je ne les condamne pas. Ça ne brosse pas dans le sens du poil, mais n’est-ce pas tout à fait justifié ?
Je suis d’accord sur la partie victimaire : ça s’éveille au moment où la colère devient confortable. Quand on reste victime longtemps, on peut ne plus avoir le réflexe de se remettre en question comme individu. C’est une mauvaise habitude mais à mon sens ça passe rapidement, et c’est ce que je vois chez les féministes. On se dit «je ne peux pas passer ma vie à juste me dire c’est la raison de mon incapacité à faire plus, à faire mieux».
Les excès ne font-ils pas avancer la cause car ils sont marquants et déplacent le curseur ?
S.B. : Oui, bien sûr. Malheureusement ou heureusement, on a besoin d’exagération pour créer du mouvement et faire changer les choses. Mais il y a des effets pervers : les femmes ont plus souvent perdu que gagné dans l’histoire donc peut-être qu’elles ont été trop radicales, pas assez mesurées…
A lire chaque samedi
M.S. : La confrontation n’est pas de notre fait, on demande juste à être considérées comme des personnes et on le demande depuis des siècles. Il faut des excès avec de la violence. Je ne l’encourage pas mais on ne fait pas de révolution en disant «excusez-moi on voudrait du pain pour le peuple». La radicalité dont on parle, je ne la vois pas. Aujourd’hui, on est radicale quand on dit «les femmes sont des gens».
Que souhaitez-vous pour le féminisme ?
M.S. : Je souhaite qu’au lieu de regarder l’attitude des féministes et de nous opposer les une aux autres car nous ne sommes pas d’accord sur des subtilités, que l’on regarde du côté de ceux qui ont entre leurs mains la possibilité de faire changer les choses : les hommes, leur éducation et l’éducation des femmes aussi.
S.B. : Un modèle inclusif. Je ne vois pas comment on peut y arriver autrement que sans les hommes. Entre femmes, on se retrouve dans le même schéma : celles qui sont grandes gueules sont celles qui ont moins de problèmes que les autres. On se retrouve dans le même schéma de proie et prédateur. Il faut apprendre à jouer à ce jeu-là avec les hommes.