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Projet de loi de finances 2025 : les tiers-lieux bientôt sacrifiés ?

Panorama des tiers-lieuxdossier
Face aux nombreux défis qui nous obligent, le programme du gouvernement est-il à la hauteur des enjeux ? Non. Non. Et non. Par le collectif «des élus pour les tiers-lieux».
Séance de découverte de la permaculture à Bray-et-Lû (Val-d'Oise), le 15 octobre 2024. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
par Le collectif « des élus pour les tiers-lieux ».
publié le 9 novembre 2024 à 5h29
(mis à jour le 15 novembre 2024 à 12h36)

Quand, le 1er octobre dernier, le Premier ministre Michel Barnier entame sa déclaration de politique générale en citant le Général de Gaulle, «Je vous demande de faire beaucoup avec peu et en partant de presque rien», l’ambition budgétaire est posée. Si on peut facilement comprendre qu’en mai 1942, depuis Londres, les moyens dont dispose le représentant de la France libre sont très faibles, la situation de notre pays n’est toutefois aucunement la même 82 ans plus tard.

Dès lors, face aux nombreux défis qui nous obligent, le projet de loi de finances 2 025 est-il à la hauteur des enjeux ? Non. Non. Et non.

En effet, uniquement sur la politique «tiers-lieux», c’est une baisse de 80 % qui est annoncée, avec un atterrissage à 2,5 millions d’euros. Soit un apport théorique de l’Etat de 714 euros pour l’année 2025 par tiers-lieu, contre 3 714 euros en 2024. Cette réduction possible des moyens est signifiante tant du point de vue des budgets que de la volonté de l’Etat de s’affranchir de son rôle d’aménageur en soutenant moins les outils qui ont la particularité d’avoir su s’inscrire dans une diversité d’espaces, ruraux, urbains, péri-ruraux, prouvant ainsi la dynamique venue du terrain.

En supprimant autant de moyens, en sus des enveloppes fortement réduites de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (-17 %), le gouvernement poursuit une stratégie clairement définie d’abandon progressif des territoires et renonce à une de ses principales prérogatives : assurer la cohésion des territoires en se privant lui-même de moyens.

Nous, élu(e) s locaux et acteurs des tiers-lieux, nous ne pouvons pas nous en satisfaire.

Dans ce contexte, les tiers-lieux pourront-ils ne compter que sur leurs premiers partenaires, à savoir les collectivités territoriales ? Sans doute que non. Certes, les collectivités pionnières, qui ont compris l’importance de soutenir ces lieux depuis plusieurs années maintenant, tenteront de limiter les dégâts dans la mesure de leurs moyens de nouveau rabotés (-5 milliards d’euros).

Mais au-delà, pour celles restées en distance de ces initiatives innovantes et citoyennes, soyons certains qu’elles continueront de détourner le regard. Dans la tradition jacobine française, l’Etat reste pour bon nombre d’élus locaux le chef d’orchestre de toutes les politiques publiques. Ainsi, le signal envoyé par le gouvernement n’est-il pas que financier : il exprime aussi un «doute» quant à l’utilité sociale, sociétale, écologique et économique de ces espaces.

Ce faisant, si le projet de loi de finances reste en l’état, on assistera donc à la fin des programmes qui ont fait leur preuve (Manufactures de proximité, Fabriques de territoire, Deffinov) et, plus largement à un plan de restructuration massif pour l’ensemble des tiers-lieux et de leurs réseaux.

Depuis leur lancement en 2019, ce sont 382 Fabriques de territoires (49 millions) et 100 Manufactures de proximité (30 millions) qui ont été soutenues dans le cadre de financements pluriannuels variant de 50 000 à 250 000 euros sur trois ans. Elles se sont développées rapidement, souvent à l’initiative de collectifs citoyens, et contribuent notamment en lien avec leurs collectivités à la revitalisation des territoires fragiles : 55 % des Fabriques de territoire soutenues sont situées dans des communes de moins de 20 000 habitants, en particulier dans les Quartiers Politiques de la Ville (QPV) et Zones de Revitalisation Rurale (ZRR), et y apportent des services culturels, sociaux et économiques souvent absents ou en déclin.

Cette politique Tiers-lieux entre en cohérence avec d’autres dispositifs phares de l’Etat, qu’il s’agisse des programmes Villages d’avenir et Petites villes de demain ou de priorités d’autres ministères comme le Printemps de la ruralité du Ministère de la Culture. Rappelons-le : 43 % des fabriques de territoire en zones rurales développent des activités culturelles.

C’est vrai, en reprenant le mot fameux de Raymond Devos, que «Une fois rien, c’est rien ; deux fois rien, ce n’est pas beaucoup, mais pour trois fois rien, on peut déjà s’acheter quelque chose, et pour pas cher». Nous pourrions même être polémiques en nous interrogeant sur la pertinence de voir les budgets de la Présidence de la République et de Matignon rester au même niveau, alors que d’autres doivent se serrer la ceinture.

Monsieur le Premier ministre, sachez enfin que les trois grandes valeurs issues de l’analyse des Cahiers de doléances de 2019 que vous souhaitez interroger sont : la citoyenneté, la proximité et la solidarité. Trois mots qui pourraient être portés au fronton de ces lieux du lien et que nous, élus locaux pour les tiers-lieux, revendiquons aussi. Dans le baromètre des élus publié par France Tiers-Lieux, 75 % de nos collègues valorisent le rôle des tiers-lieux dans la lutte contre l’isolement et le renforcement du lien social.

Ainsi, en maintenant dans le PLF 2 025 un financement à la hauteur de 2024, il s’agit de préserver l’existence même d’une politique publique prometteuse dans ses effets, au service de la transition écologique, de l’inclusion et du renforcement des solidarités partout en France.

Signataires

Marie-Claude Barnay, maire de la Grande-Verrière, Présidente de la communauté de communes du Grand Autunois Morvan. Annick Barré, conseillère municipale d’Issoire. Betty Besry, conseillère municipale et communautaire de Marie Galante. Pascal Bironneau, maire de Saint-Loup sur Thouet. Charlène Boué, adjointe au maire de Cazères-sur-Garonne. Fanny Castuera, conseillère de Neuillay-Les-Bois. Eric Correia, Président de l’Agglo du Grand Guéret. Marie-Laure Cuvelier, Conseillère régionale déléguée de la région Nouvelle Aquitaine. Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent, co-fondateur du tiers-lieu Le Café citoyen. Aurélien Denaes, conseiller municipal de Malakoff. Lorine Gagliolo, vice-présidente de Grand Besançon Métropole. Armelle Gaillard, conseillère municipale de Branne. Isabelle Joucan, maire de GuipelGuénaël Launay, maire d’Augan. Marilyne Namyst, Conseillère municipale de Montaigut-le-Blanc. Eric Oternaud, conseiller régional de la région Bourgogne-Franche-Comté. Christian Paul, maire de Lormes. Philippe Ponsard, Maire de Savennes. Éric Semerdjian, Conseiller municipal de Marseille, délégué à la Métropole Aix-Marseille- Provence. Nicolas Soret, vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, Loïc Hénaff, Conseiller régional de Bretagne.