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Libération
Cycle de l'eau

Protection des fleuves  : un retour aux sources

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Collectifs et chercheurs insistent sur la nécessité de mieux connaître les fleuves et leurs affluents, indispensables bassins de vie aménagés jusqu’à l’extrême.
(Jeremy Perrodeau/Liberation)
publié le 27 septembre 2024 à 0h43

A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

D’où vient l’eau qu’on boit au robinet ? La question est simple, mais on ignore souvent la réponse, comme on a tendance à oublier l’emplacement de sources, le parcours d’affluents, et jusqu’à l’existence de rivières enterrées. Pourtant, «l’eau est un sujet citoyen, elle est l’affaire de tous et de toutes : elle doit sortir du domaine des spécialistes», appelle Elisabeth Taudière, directrice de l’association d’architecture Territoires pionniers. Elle en est convaincue, face à l’augmentation de la pollution, des crues et des sécheresses, il est plus que jamais nécessaire de réinventer notre rapport aux fleuves.

C’est ce qui a motivé le lancement du projet collectif Nous sommes Orne, du nom du cours d’eau normand situé à la rencontre du bassin parisien et du massif armoricain, et qui traverse Caen avant de se jeter dans la Manche. A travers des ateliers, des rencontres, des programmes de recherche et de sciences participatives, il s’agit de «changer les imaginaires, pour changer les façons de faire», résume Elisabeth Taudière. Car comment défendre ce qu’on connaît si peu et ce à quoi on ne pense même pas ? Il y a du pain sur la planche. Aujourd’hui, dans les représentations collectives des habitants, l’Orne est rarement perçu comme un fleuve unique – il faut dire qu’il rencontre une forte diversité de paysages, des plaines calcaires aux bocages, jusqu’aux zones industrielles de l’agglomération caennaise et du port d’Ouistreham. Pourtant, il lie de manière inextricable des centaines de milliers de personnes. C’est parfois bénéfique (la ville de Caen est alimentée en eau grâce à des captations effectuées depuis le XIXe siècle à la limite du massif armoricain) ; parfois moins (les résidus de pesticides des cultures intensives des plaines se retrouvent dans les eaux potables des habitants…).

Comme le souligne l’auteur et éditeur Marin Schaffner (rencontré lors du Parlement des liens à Uzès en 2023) , accepter la grande complexité des cycles de l’eau, qui lient les mers aux forêts, l’air et la terre, les territoires et leurs habitants, nous oblige à «faire beaucoup de choses différemment». Exemple avec les contestées mégabassines, qui consistent à puiser dans les nappes l’hiver pour combler des besoins estivaux : «On se tire une balle dans le pied, c’est une aberration hydrologique.» Se placer «du point de vue des eaux» implique un renversement de perspective, à savoir tenter de vivre avec le vivant plutôt que de l’extraire et le dégrader.

Naïf ? Le sujet est éthique, mais aussi pragmatique, défend Marin Schaffner. Aujourd’hui, le décalage se creuse entre les cycles de l’eau et l’extrême aménagement de nos fleuves par des «couches d’infrastructures dont on hérite, et sans lesquelles on ne sait plus vivre». Jusqu’au point de rupture ? L’auteur pose la question du démantèlement, qui ne doit pas consister en une destruction pure et simple («si on enlève les barrages, on n’a plus de lumière !») mais plutôt permettre d’organiser autrement notre rapport au fleuve, en développant des alternatives déjà présentes mais trop peu répandues, depuis les banques de semences à l’échelle d’un bassin-versant jusqu’aux projets de «remunicipalisations» de l’eau. De quoi nourrir de nouveaux imaginaires sur les fleuves qui nous font vivre.