Les cris stridents du martinet pâle m’ont alerté sur son sort. Tiré de ma sieste dans le village corse de Muro, je le découvre prisonnier d’un balcon entouré de grillage. Il se traîne au sol, indemne mais incapable de se dresser sur ses minuscules pattes, et de redécoller. Je passe doucement une main sous l’animal, qui aussitôt agrippe mes doigts et semble murmurer «sauve moi». Ses petites griffes sont puissantes, son plumage soyeux. Je replie doucement ses grandes ailes arrondies comme des faucilles, et le lance en l’air. Le petit aviateur, totalement handicapé un instant plus tôt, vole à nouveau à plus de 80 km/h, rejoignant les grands groupes de ses congénères qui virevoltent en hurlant dans les ruelles.
Les martinets règnent sur les cieux de nos cités estivales, mais que font-ils loin de nos yeux, dans l’immensité du ciel ? On sait qu’ils ne se posent presque jamais, même pas pour dormir ou s’accoupler. Ils restent ainsi des mois sans toucher terre, peut-être des années. A Montpellier, je les vois boire en vol à la surface des bassins et traquer les insectes, ce plancton aérien dont ils suivent les nuées jusqu’en Afrique pendant les mois d’hiver.
Pour étudier ces migrations, les ornithologues disposent désormais de minuscules balises électroniques qui enregistrent les battements d’ailes des oiseaux, leur altitude de vol et leur position GPS (1). Récemment, ces balises ont été posées sur des martinets de trois espèces nicheuses vivant en Belgique, en Suisse, au Portugal ou en Turquie (2). Tous les oiseaux ont voyagé entre leurs sites de nidification et différentes régions subsahariennes, du Mali au Mozambique. En inspectant leurs trajectoires de vol, l’équipe de scientifiques a identifié un étrange phénomène : au crépuscule, les martinets prenaient soudain de la hauteur, grimpant de 1 000 à 2 000 mètres en moins d’une heure. La plupart des oiseaux restaient actifs en altitude jusqu’à l’aurore et, les nuits de pleine lune, deux des trois espèces volaient encore plus haut dans le ciel.
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Les auteurs de l’étude s’interrogent sur les raisons de ces étranges ascensions au clair de lune. Ils notent que les nuages d’insectes prennent eux-mêmes de la hauteur la nuit, et présument que les martinets les suivent afin de se nourrir, aidés par les lueurs lunaires. Alternativement, les martinets gagneraient en altitude afin d’échapper à leurs prédateurs, notamment les faucons d’Eléonore, connus pour leurs chasses nocturnes aux petits oiseaux.
«Je suis totalement fasciné par ces comportements», m’écrit Koen Hufkens de BlueGreen Labs, premier auteur de l’étude. «Petit à petit, nous découvrons l’existence aérienne des martinets ; ils recherchent aussi les structures atmosphériques qui concentrent les insectes, notamment la convergence intertropicale rencontrée au sud du Sahara.»
Pour Paul Dufour, spécialiste de la migration des oiseaux au CNRS, «les nouvelles technologies électroniques révolutionnent notre manière d’étudier la migration des plus petits des oiseaux, dont certains ne pèsent que quelques grammes. Nous volons avec eux au quotidien, jusque dans leurs quartiers d’hivernage africains».