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Cités numériques

Quand musées et galeries passent en mode virtuel

Le procès du siècle, délibérations citoyennesdossier
L’offre d’expositions à découvrir de chez soi a proliféré depuis deux ans avec la pandémie. Des expériences numériques qui soulignent toutefois le caractère irremplaçable de la rencontre physique avec les œuvres.
(Pierre Tassin/Libération)
par Christelle Granja et illustration Pierre Tassin
publié le 16 avril 2021 à 0h51
(mis à jour le 10 février 2022 à 16h08)
Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. «Libération», partenaire de l’événement, proposera jusqu’en mars articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. Thème de ce lundi 14 février : « Courage fuyons ! La planète est inhabitable : allons-nous vivre dans le virtuel ? » Informations sur le site du musée.


«Visiter le Louvre en pantoufles, et cela grâce à votre ordinateur.» En 1995, le présentateur du journal télévisé Bruno Masure annonçait déjà, par cette formule au parfum de charentaises, une innovation nationale : un CD-ROM plaçant une centaine d’œuvres du Louvre à portée de clic. Prouesse ! Mais si l’INA et son placard à archives rappellent que les visites virtuelles ne sont pas nées de la dernière pandémie, «l’injonction à la numérisation», déjà forte ces dernières années, «a atteint des sommets avec la crise», observe Florence Andreacola, chercheuse à l’université Grenoble Alpes et spécialiste de l’expérience de visite.

Pour maintenir un lien avec leur public, de nombreux musées, festivals et foires ont rendu leurs œuvres accessibles en ligne. Visites à 360 degrés où l’internaute se déplace avec sa souris, vidéos en streaming, plateformes jouant sur l’interactivité… Les dispositifs sont variés et parfois fastidieux. «L’aspect positif, c’est que la localisation ne joue plus sur Internet. A priori, n’importe qui peut aller voir n’importe quelle exposition», défend Florence Andreacola. A priori seulement, car sur la Toile, peut-être davantage qu’en présentiel, chacun privilégie ce qu’il connaît. «Malgré les choix aléatoires proposés pour la découverte des œuvres, certaines galeries ont observé que la plateforme numérique desservait les artistes émergents», regrette Jennifer Flay, directrice artistique de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac).

Expérience sensorielle

Après l’annulation de son édition automnale 2020, la foire internationale a ressurgi en mars avec un rendez-vous 100 % web. Un «pis-aller», juge Jennifer Flay, pour garder le contact avec le public. Mais une œuvre d’art peut-elle s’appréhender à travers un écran ? «Cela peut servir de première accointance. Mais quel que soit le médium, l’art se vit en présentiel. L’expérience est physique, sensorielle», défend la directrice.

Autre échelle, autre choix : dans l’espoir d’une réouverture, le festival associatif de la jeune photographie européenne Circulation(s) a maintenu le montage de son exposition in situ au centre d’art parisien le Centquatre. Mais ce vaste espace «où l’on se sent plus en sécurité qu’au supermarché», glisse en souriant Camille Guillé, la coordinatrice adjointe du festival – restant fermé au public, l’équipe a réalisé une visite en vidéo. «A l’échelle de la jeunesse, il est difficile de perdre une année», justifie-t-elle.

Le dispositif permet de piquer la curiosité des internautes, «mais il ne remplace absolument pas une exposition, de la même manière qu’une captation théâtrale ne vaut pas l’expérience du spectacle vivant». Les files d’attente qui se sont récemment allongées devant les galeries d’art, jusqu’à leur fermeture par le gouvernement, témoignent de cette appétence pour l’appréhension «physique» d’une œuvre d’art. C’est cette note d’espoir aux allures de paradoxe que choisit de retenir Jennifer Flay : «La pandémie a évacué, pour l’instant, le spectre d’un monde de l’art 100% virtuel.»

Article paru initialement dans notre supplément Les cités numériques le 16 avril 2021.