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LibéCare. Pensez la santé demain: rencontre

Aide-soignante : «Quand une de nous est en arrêt, c’est toute la chaîne qui flanche»

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Véronique Jeulin-Vérité est aide-soignante, dans un soin de suite et de réadaptation, orientation cancérologie, à l’hôpital Daniel-Chanet, à Vendôme (Loir-et-Cher).
Pour Véronique Jeulin-Vérité, aide-soignante, «c’est difficile de prendre en charge des patients quand on est nous-mêmes épuisés». (Fanny Michaëlis/Libération)
publié le 28 novembre 2022 à 14h17

Comment bien se soigner, bien vivre, bien vieillir ? Rendez-vous à Caen, les 9 et 10 décembre, au MoHo avec le LibéCARE pour débattre avec médecins, intellectuels et experts. En attendant l’événement, réalisé en partenariat avec la Région Normandie, MGEN et l’ADMD, Libération publiera dans un espace dédié, articles, tribunes et témoignages.

«Je suis actuellement en vacances mais j’ai beaucoup de mal à me libérer de mon travail. Quand j’ai commencé il y a vingt ans, on avait davantage de temps pour s’occuper des patients. Aujourd’hui on manque de personnel. On ne sait plus où mettre les gens. On n’a plus de place. On doit faire face à des prises en charge complètement décousues. Les médecins s’en vont, ils n’en peuvent plus. On est au bord de l’explosion. Pour gérer trente patients, on est trois ! On ne peut pas travailler comme cela.

«C’est difficile de prendre en charge des patients quand on est nous-mêmes épuisés. On nous supprime les jours de repos pour faire des remplacements. On ne s’arrête jamais. Quand on est en vacances et que le téléphone sonne, on se demande si ce n’est pas le travail qui nous rappelle… On ne sait plus comment faire pour avoir des conditions de travail correctes. On manque également de matériel. On se trouve au centre d’un désert médical, avec des gens qui n’ont pas trouvé de place ailleurs et qui arrivent dans des situations de détresse importantes. Cette angoisse est là, dans les services. Mes collègues qui ne sont pas bien, on essaie de les soutenir, de se ménager les unes les autres. Mais quand une est en arrêt, c’est toute la chaîne qui flanche.

«A Vendôme, les élèves se font de plus en plus rares. On fait face à un manque d’aides-soignants massif. On n’arrive plus à recruter. On a actuellement une collègue en apprentissage, mais on voit bien que ce n’est pas sa vocation. Pour faire ces métiers-là, il faut cette motivation. Et de l’apprentissage correct. Or, les formations basculent sur du rabais. On valide des élèves qui n’ont pas toujours les compétences. Il me reste encore dix ans à travailler. Dans quelles conditions ? J’ai 53 ans. Comment une soignante de mon âge va-t-elle effectuer ses tâches ?

«Honnêtement, on n’est pas assez payées. Quand on travaille un dimanche, on gagne seulement 40 euros de plus… Le Ségur de la santé, on en a vu qu’une moitié. On voudrait que les primes soient intégrées, que ce soit un salaire complet. Si nos professions étaient valorisées, on aurait plus de jeunes qui viendraient…

«Ce sont les sphères supérieures qui devraient bouger. Les gens qui dirigent les hôpitaux ne savent pas ce qu’est un soin. Aujourd’hui, ce sont des financiers qui gèrent les hôpitaux, mais un tel établissement ne peut pas faire de chiffre. L’hôpital explose avec la prise en charge sociale massive des détresses familiales, des addictions. Il y a beaucoup de misère sociale. A cause du manque d’effectifs, on est confrontées à la violence et à la colère des familles. Ils ne comprennent pas qu’on ne soit pas là dans les cinq minutes. Mes amis me disent : «il faut que tu débranches ! Un médecin, s’il ne vient pas dans le service, personne ne s’en rendra compte. Si on enlève les aides-soignantes cela sonne partout. Souvent, les patients parlent plus aux soignantes qu’au médecin.»