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«Quartiers de demain» : réfléchir avant de démolir

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Si les grands ensembles bâtis durant les Trente Glorieuses concentrent de multiples problèmes, leur destruction ne doit pas être la première solution envisagée, estime Julien Bargeton, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, qui préconise plutôt leur réhabilitation pour une vraie amélioration de l’habitat populaire.
Sur le site du futur Ecoquartier de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), en novembre 2024. (Ava du Parc/Libération)
par Julien Bargeton, président de la Cité de l'architecture et du patrimoine
publié le 20 décembre 2024 à 0h35

Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur ces projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.

«C’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature», disait André Gide. Et aussi qu’on fabrique de la mauvaise architecture…

L’architecture des quartiers populaires est intimement liée à l’histoire sociale et urbaine de la France. Les grands ensembles, nés de l’essor démographique de l’après-guerre et de la volonté de reconstruire un pays en ruines, ont longtemps incarné l’espoir d’un logement moderne et accessible pour tous.

Les années 1950 et 1960 ont constitué un véritable laboratoire d’architecture au service du social. Les architectes de cette époque, souvent animés par des idéaux humanistes, ont cherché à créer des environnements de vie fonctionnels et esthétiques. Les grands ensembles, avec leurs typologies variées et leurs structures innovantes, témoignent de cette volonté de repenser l’habitat collectif.

Cependant, l’image des grands ensembles s’est rapidement dégradée. Les promesses initiales d’un cadre de vie agréable ont souvent été déçues par des problèmes de gestion, d’entretien et d’évolution sociale. Les difficultés économiques, les politiques d’urbanisme mal adaptées, les choix de peuplement des logements sociaux ont contribué à la stigmatisation de ces quartiers, souvent associés à la pauvreté, à la violence et à l’exclusion. Quel cruel paradoxe ! Alors que les architectes chargés de ces projets, jugés inventifs, ont longtemps été considérés comme les meilleurs (Dubuisson à Pessac notamment, mais on pourrait citer Zehrfuss à Clichy-sous-Bois, Renaudie à Givors, Grandval à Créteil…), ils ont été jetés avec l’eau du bain, comme s’ils étaient seuls responsables de l’évolution sociologique qui a suivi leurs réalisations.

La volonté de démolir ces ensembles a longtemps prévalu, mais heureusement, elle s’érode sensiblement ces derniers temps. Les politiques de renouvellement urbain ont privilégié la reconstruction et la densification au détriment de la réhabilitation. Pourtant, ces quartiers possèdent un patrimoine architectural et historique indéniable, ainsi qu’un potentiel de développement considérable. Le coût social, humain et écologique de la destruction paraît insupportable dans un pays en mal de logements. Combien d’habitants des barres de La Courneuve ont eu le cœur brisé à leur chute ?

Nous pouvons réinventer les quartiers en préservant le patrimoine architectural comme alternative crédible à la démolition, tout en les adaptant aux besoins actuels, en favorisant la mixité sociale, en développant les espaces publics, en impliquant les habitants et en innovant en matière de matériaux.

Les exemples de réhabilitation réussie sont nombreux. Des architectes comme Lacaton & Vassal ont démontré qu’il est possible de transformer des grands ensembles en lieux de vie agréables et durables, en conservant leur structure existante et en apportant des améliorations soignées. L’architecture des quartiers populaires est un héritage complexe : elle ne demande qu’à évoluer. L’enfer de la démolition est pavé de bonnes intentions !