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Libération
Agir pour le vivant : chronique

Quel avenir pour la forêt profonde ?

Le directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier tient une chronique écologique pour «Libération» : «l’Albatros hurleur». Aujourd’hui : les arbres et le réchauffement climatique.

Ici le bois de Hal, en Belgique. (Nicolas Maeterlinck/AFP)
Par
David Grémillet
Publié le 20/09/2025 à 4h49

Alors que les vagues de chaleur s’intensifient, rôtissent et carbonisent le pourtour méditerranéen, je rêve de forêts ombragées. Dans la pénombre de ces bulles verdoyantes, la température est souvent 10 °C plus fraîche que dans les milieux ouverts. Pourtant, même quand la canopée s’étend à perte de vue en un couvert végétal ininterrompu, la soif des grands arbres assèche le sol au fil d’étés sans pluie. Bien des arbres perdent alors toutes leurs feuilles, des millions meurent. Faut-il éclaircir nos forêts pour sauver au moins une partie de leurs effectifs face au changement climatique ? Quelle est l’écologie d’une forêt à la canopée soudain fractionnée ?

Sanne Verdonck de l’Université catholique de Louvain, et ses collègues de cinq institutions de recherche belges, ont étudié la question dans la forêt de Meerdael, une zone de 1 200 hectares du parc national des Forêts du Brabant (1). Début 2022, les scientifiques ont visité trente-six parcelles dominées par des chênes et des hêtres, au sein desquelles l’équipe a installé des enregistreurs automatiques de la température et de l’humidité du sol. Sanne Verdonck et ses collègues ont également mesuré les arbres, l’étendue de leurs canopées et l’épaisseur de la couche de végétaux morts au sol, nommée «litière». De juin à octobre 2022, les écologues ont aussi posé des pièges à petites bêtes afin de déterminer les densités de cloportes et de scarabées, dont les populations sont indicatrices de l’état de santé des sols affiliés aux litières et aux arbres qui les produisent.

L’été 2022 a battu des records en termes de température et de sécheresse, fournissant des conditions malheureusement idéales aux scientifiques. Leurs mesures indiquent que seule la canopée continue d’une forêt intacte permet de maintenir les températures plus fraîches des sous-bois au cours des canicules. Dès qu’une brèche est ouverte dans ces cimes verdoyantes, la chaleur s’engouffre comme une voie d’eau dans la coque d’un navire. De plus, quand la canopée recouvre moins de 50 % de la surface du sol, la forêt devient un piège à chaleur aux clairières ensoleillées, torrides car protégées des courants d’air rafraîchissants.

Le petit peuple des litières réagit alors de manière étonnante : les cloportes se réjouissent des températures élevées, mais préfèrent les chaleurs humides. Ils ne souffrent donc pas outre mesure d’un fractionnement de la canopée, sauf si les clairières s’assèchent. Les scarabées, pour leur part, sont également plus actifs au soleil et privilégient les zones recouvertes de canopées plus ou moins ouvertes ainsi que les litières peu épaisses, là où ils détectent facilement une abondance de proies.

Dans un monde qui se réchauffe, Sanne Verdonck et ses collègues plaident donc pour le maintien de zones recouvertes de canopées ininterrompues, derniers remparts face aux canicules. Leur étude indique néanmoins que, localement, des densités d’arbres plus faibles permettent de sauvegarder les ressources en eau et de promouvoir la biodiversité. Préservons donc les forêts profondes qui nous sont si chères, entrecoupées çà et là de clairières propices à l’observation de toute une histoire naturelle. N’est-ce pas là même la définition d’une forêt primaire (2) ?

(1) Verdonck, S., et al. (sous presse). Managing canopy cover to preserve forest microclimate and diverse macroarthropod communities in times of drought. Journal of Applied Ecology.
(2) https : //www.canopee.ong /