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Libération
Olympiade culturelle

Raphaël Zarka installe sa «Cycloïde Piazza» sur le parvis du centre Pompidou

L’artiste a pensé sa sculpture-skatepark, accessible à partir du 22 juin, comme un amphithéâtre et un anti-monument que chacun peut s’approprier.
La «Cycloïde Piazza» de Raphaël Zarka. (Raphael Zarka)
publié le 30 mai 2024 à 3h07

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Il y tenait : l’emplacement de sa Cycloïde Piazza ne doit rien au hasard. En contrebas à droite du centre Pompidou, au pied du bâtiment tubulaire de Rogers et Piano qui fermera bientôt ses portes pour cinq longues années de travaux, c’est historiquement l’emplacement de toutes les sculptures publiques qui ont un temps squatté la place. Du pouce en bronze de 6 mètres de haut, signé César, au Stabile-Mobile de 6 tonnes de Calder, en passant par le non moins spectaculaire coup de boule de Zidane immortalisé par Adel Abdessemed… Pour l’artiste Raphaël Zarka, invité à produire l’une de ses sculptures praticables durant les JO, c’est une manière discrète de se raccrocher aux wagons et d’esquiver la méprise : c’est bien en artiste qu’il regarde le skateboard, discipline olympique depuis 2020.

Depuis le début des années 2000, d’expositions en expositions et de livres en livres (de la Conjonction interdite à la Chronologie lacunaire du skateboard en passant par sa collection de photos collectée dans Riding Modern Art, tous édités ou réédités aux éditions B42), Raphaël Zarka cherche à démontrer que le skate est avant tout affaire de formes. Et a donc tout à voir avec l’art. Formes du repos ou du mouvement, qu’il piste dans les figures des skateurs et la façon dont ils s’approprient l’espace public, y compris les œuvres, installations ou monuments, autant que dans l’histoire de l’art et des sciences, convoquant Galilée (et ses études sur la gravité), Roger Caillois et sa typologie des jeux, mais aussi le constructivisme ou l’abstraction.

Réactiver une «zone de potentialité»

Sur le parvis de Beaubourg, c’est donc tout à la fois une sculpture, un anti-monument et un skatepark qu’il viendra déployer à partir du 22 juin. 600 m2 en tout, dont 400m2 incluant une rampe, un plan incliné triangulaire et des marches, pour satisfaire le «street et les adeptes de la rampe». «Les skateurs street, soit la majorité des skateurs parisiens, ce qu’ils aiment, c’est les angles droits. A Paris, on est moins fort pour les courbes qu’à Marseille par exemple», note en connaisseur Raphaël Zarka, qui a également pensé sa sculpture comme un amphithéâtre pour y intégrer un podium, face aux marches, qui «pourra être investi par un performer». L’idée, dans la même logique de boucle infinie suggérée par l’intitulé du projet Cycloïd Piazza, était bel et bien de créer une «piazza sur la piazza» et de réactiver cette «zone de potentialité» imaginée par les architectes du centre Pompidou.

Mais lorsque nous lui rendons visite dans son atelier du XIIIe arrondissement où, en quasi-entrepreneur, il prépare une série d’impressions sur bois dans la continuité de ses «peintures gnomoniques» (terme savant pour désigner l’art de concevoir les cadrans solaires) et peaufine les plans des immenses cheminées enchâssées sur lesquelles il travaille depuis plus de cinq ans, Zarka en revient encore et toujours à des questions d’art. Insistant par exemple sur la place plus importante qu’occupe aujourd’hui la couleur dans son travail, comme en atteste le projet de Beaubourg où s’est mise en place une corrélation entre certaines typologies d’espaces et des codes couleurs : «Tout comme je travaille la géométrie je travaille la couleur, raconte l’artiste. Avant c’était la couleur des matériaux qui me guidait, des nuances de beige en fonction des essences de bois que j’utilisais, le pin, le chêne. Mais j’ai commencé à me sentir à l’étroit.» Son compagnonnage de vingt ans avec le peintre de la couleur et des contre-espaces Christian Hidaka ou son séjour à la Villa Médicis en 2011, dont il est rentré définitivement changé, ne sont sans doute pas pour rien dans ce changement de cap. Erudit décomplexé, navigant dans l’histoire de l’art sans jamais se laisser restreindre par les bornes chronologiques et les écoles, Zarka pense à voix haute et choisit son camp : «Quand Le Corbusier reprend la palette primaire, contrairement à Mondrian par exemple, il part rechercher les couleurs primaires dans la Première Renaissance, sur les fresques, ou plus près de lui chez les cubistes qui réhabilitent ce rapport à la couleur.» Son skatepark, il le doit aussi, dit-il, aux surfaces planes ou courbes de deux artistes longtemps invisibilisées, la constructiviste polonaise Katarzyna Kobro et la Suisse prolifique Sophie Taeuber-Arp.

Une «robotisation» des figures

«La ligne droite n’est pas toujours le moyen le plus rapide d’atteindre sa cible», rappelle opportunément Raphaël Zarka. Devise que l’on pourrait aussi bien appliquer aux principes physiques qu’il cherche à éprouver avec la courbe cycloïde qui ponctue sa sculpture skatable, qu’à sa méthode de travail. Et qui lui permet, évoquant ensuite la «longue histoire de la sculpture praticable», de sauter du projet de skatepark avorté de Dan Graham dans les années 80, à ceux réalisés par la Sud-Coréenne Koo Jeong A sur l’île de Vassivière ou au pied de la fondation Luma à Arles, jusqu’au mur d’escalade de Pierre Székely construit à Evry. Et dans le même élan et avec la même liberté, de donner son avis (un peu critique) sur la présence du skateboard aux JO : «Le skate s’est développé contre les pratiques sportives réglées. Ne pas aller au club, ne pas avoir d’horaires. Mais aussi pas de profs, pas d’instructeurs, pas de coach», rappelle Zarka qui regrette pareillement la «robotisation des figures alors que les grands skateurs sont parfois ceux qui font des coups d’éclat sans être capable de reproduire le geste». Surtout, déplore-t-il, alors que la capitale est si peu dotée en skateparks bétonnés, elle ne bénéficiera pas au sortir des JO d’un retour sur investissement comme c’est le cas pour d’autres disciplines. «Il y a un grand complexe skate à Chelles par exemple, mais évidemment les JO ne voulaient pas organiser de compétition en banlieue mais au cœur de Paris, car les épreuves de skate sont très attendues», analyse Zarka. Résultat : «On ne construit que des infrastructures provisoires et on ne gagnera donc aucun complexe de qualité.»