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Libération
TRIBUNE

Réactionnaires et collapsologues, vous n’aurez pas nos rêves

L’écologie donne le droit à rêver pour mieux réinventer le futur. Saisissons cette forme de résistance pour contrer tous les collapsologues et s’appliquer à habiter la Terre avec élégance.
La ville de Bobigny photographiée par les élèves du collège Pierre-Semard. (metropop'! et les collégien·nes)
par Hélène Binet, porte-parole de makesense
publié le 14 juin 2025 à 6h29

Comment, à 20 ans, penser un futur plus désirable avec légèreté et joie ? Comment avoir confiance en l’avenir sans baisser les bras ? Pour sa deuxième édition, le festival Place à demain s’installe à Paris, au Palais de la Porte Dorée, le samedi 14 juin.

Il était une fois des fleuves engloutisseurs de villes, des tempêtes polaires glaceuses de sang, des forêts allumettes inflammables, des glaciers pulvériseurs de vies. Il était une fois le dérèglement climatique, histoire prémonitoire écrite depuis cinquante ans par les scientifiques, dont on peine aujourd’hui à imaginer comment elle pourrait bien se terminer.

Si on connaît déjà l’épitaphe, à quoi bon se démener ? Depuis quelques années, le fond de l’air est résigné. Notre société saturée de courbes rouges et de seuils dépassés, semble dicter une seule posture à adopter : celle de la lucidité sans espoir, de la raison désenchantée. On nous intime de «regarder les choses en face», et ce regard-là ne tolère ni les détours de l’imaginaire ni les circonvolutions du cœur. Mais faut-il vraiment choisir entre la vérité du présent et le rêve du futur ? Entre l’urgence et l’espérance ? Nous refusons ces fausses alternatives.

«Personne ne peut nous empêcher d’imaginer un autre avenir, un avenir qui s’éloigne du désastreux cataclysme des conflits violents, des divisions haineuses, de la pauvreté et de la souffrance, écrivait, il y a quelques années, l’activiste Rob Hopkins. Imaginons dès aujourd’hui les mondes que nous voudrions habiter, la longue vie que nous voulons partager et les nombreux futurs qui sont entre nos mains.»

Rêver n’est pas fuir. Bien au contraire. C’est tracer des lignes de crête au-dessus de l’abîme. C’est matérialiser l’objectif à atteindre en attendant de défricher les voies pour y parvenir. C’est réapprendre à lever les yeux, non pas pour oublier le réel, mais pour mieux le réinventer. C’est opposer à la mécanique des catastrophes la force tranquille d’un désir tenace : celui de rallumer notre humanité, de bâtir des mondes où l’on ne piétine pas le vivant, de faire la paix avec l’altérité, de prendre soin du beau, du sensible, du fragile.

Nous avons besoin d’utopies concrètes

L’écologie ne doit pas devenir un lexique de pénitence, un sablier retourné où chaque grain compte comme un reproche. Elle peut – elle doit − redevenir une promesse. Une invitation à habiter la Terre avec élégance.

Alors de grâce, ne laissons pas l’imaginaire aux mains des publicitaires, des réactionnaires ou des collapsologues. Reprenons ce droit fondamental : celui de rêver à haute voix. De dire que oui, demain les forêts seront nourricières, l’habitat énergétiquement sobre et socialement éclatant, qu’il y aura des cours de futur donnés dans la nature, des maraîchers municipaux dans chaque ville et village de France, qu’un jour on écrira une «Déclaration des droits du vivant», que l’on travaillera moins pour prendre soin des autres et du monde…

Nous avons besoin d’utopies concrètes, de récits joyeux, d’horizons fertiles, de prophéties autoréalisatrices. Nous avons besoin de dire, sans honte et sans cynisme : oui, un autre monde est possible. Et même s’il est tard, il est encore temps. Le droit de rêver n’est pas un luxe, c’est une forme de résistance, le moteur discret de toutes les révolutions justes. Sans lui, l’écologie restera un constat ; avec lui, elle peut redevenir un élan. Chiche ?