Nuages pluvieux et horizon bas ce matin à la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou. Ça tombe bien, c’est justement au sol qu’il faut regarder. Dans le champ boueux de la campagne angevine, bâton de berger à la main et bottes aux pieds, Julien Fortin le responsable de la structure désigne les petites parcelles où poussent pêle-mêle la luzerne, le trèfle blanc, la fétuque ou le lotier. «Sur chaque microparcelle, nous avons semé des mélanges différents. Nous allons mesurer leur rendement, calculer l’apport nutritif, afin de déterminer laquelle est la mieux adaptée. Nous communiquerons ensuite le résultat aux agriculteurs.»
Si rien ne la distingue des autres aux premiers abords, la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou n’est pas un endroit ordinaire. Depuis vingt-cinq ans, ce laboratoire à ciel ouvert teste des solutions sur le terrain – 145 hectares en bio dédiés à la polyculture et à l’élevage – pour faire face aux changements climatiques. Financée par la Chambre d’agriculture et une quinzaine d’actionnaires, dont une majorité de coopératives agricoles, la structure se veut «apolitique» selon les termes de son responsable avec un cahier des charges précis. «Tout doit être transposable, insiste-t-il. Nous devons apporter des solutions au plus grand nombre d’exploitations qu’elles soient en conventionnel ou labellisées.»
S’adapter aux températures records
En cette fin octobre, si les alentours sont plutôt verts, Julien Fortin y voit presque une exception. «Normalement, tout est grillé de juin à début octobre. En 2022, les températures ont grimpé jusqu’à 45°C, ce qui risque de devenir la normale dans quelques décennies.» Dans de telles conditions, le vert vire au jaune, l’herbe dessèche et pousse moins. Si les Pays-de-la-Loire ne sont pas réputés être la région la plus chaude de France, elle a subi ces dernières années des records et glisse vers un climat méditerranéen. Il faut donc s’adapter et les questions sont nombreuses : quel végétal, le mieux adapté à la chaleur et la sécheresse, planter pour le fourrage ? Quand le semer et le récolter ? Comment nourrir les vaches et amoindrir sa facture énergétique et son bilan carbone ?
A quelques pas des parcelles test, entre deux bouses bien vertes, un groupe de vaches broutent, flegmatiques, accompagnées de leurs veaux. Malgré l’air impassible de ces bêtes, ce tableau sous nos yeux n’est pas si courant à croire le spécialiste. «Dans une ferme classique, vous ne verrez pas souvent pâturer sur de la luzerne, assure-t-il. Ce n’est pas dans les habitudes.» Si elle a mauvaise réputation – celle de faire gonfler l’estomac des ruminants – bien utilisée, la légumineuse aux petites fleurs violettes présente de nombreux avantages. Une fois plantée, elle résiste à la chaleur grâce à ses longues racines qui cherchent l’eau en profondeur. «Il en existe plusieurs variétés dont certaines méditerranéennes, qui comme leurs noms l’indiquent, résistent mieux aux périodes de sécheresse. Nous essayons donc de travailler avec celles-là», complète Aline Vandewalle, chargée du programme innovation des sols à la Chambre d’agriculture, qui accompagne la visite.
«Notre Limousine est belle»
Même si Julien Fortin assure que les pratiques ont déjà évolué chez les agriculteurs, la couverture du terrain est un des sujets sondés à la loupe à Thorigné-d’Anjou. Car un sol nu reste plus fragile à l’érosion au contraire d’un sol couvert qui s’avère plus résilient. «La pratique classique c’est de récolter, de laisser à nu, puis de semer, expose Julien Fortin. A Thorigné, on expérimente un semis double : on répand du trèfle en même temps que des céréales. Ainsi le trèfle pousse doucement sous couvert puis s’épanouit après la moisson.» Les avantages sont multiples : économiser en mécanisation. Avoir un sol toujours couvert et éviter l’évaporation en cas de sécheresse. Le trèfle peut ensuite être pâturé par des vaches, elles-mêmes à l’étude. «Notre Limousine est belle mais c’est un grand format, elle atteint sa taille adulte moins rapidement et coûte plus cher à engraisser. Même si elle produit au final plus de viande.» Sur la ferme, les chercheurs travaillent à un croisement entre Limousine et Angus, une race plus petite produisant une viande grasse de qualité. «Ces vaches doivent mieux répondre aux attentes du consommateur, fournir des morceaux plus petits, et réduire les coûts d’élevage avec la consommation de davantage d’herbe pâturée produite sur place que de céréales importées.»
«Tout un secteur en mutation»
Pourtant si les espèces végétales ou animales évoluent pour mieux s’adapter aux changements climatiques, le modèle doit aussi être repensé. «La technique ne suffira pas à tout résoudre, complète l’ingénieur. Le bon sens c’est de ramener de la cohérence avec l’unité de surface, redéfinir le lien avec le sol. Peut-être envisager de passer de 80 animaux à 70 sur une même ferme.» Un défi de taille à relever dans une région qui possède un niveau de production élevé. «Le réchauffement climatique va remettre en cause cet équilibre, détaille Aline Vandewalle. Si la production baisse, nous allons nous retrouver avec des abattoirs surdimensionnés, de l’emploi en moins. C’est tout un secteur en mutation auquel il faut réfléchir.»
Alors que la profession reste en partie fragile, économiquement. Sur le terrain, le discours des agriculteurs semble en effet plus pessimiste. A la ferme caprine Entre chèvres et choux, près de Saint-Nazaire, département de la Loire-Atlantique, Jean-Brice Moutault fait du maraîchage, de l’élevage caprin et propose en vente directe des produits laitiers, issus de son exploitation. Il ne cache pas son désarroi alors qu’il n’a pas cessé de pleuvoir dans la région depuis plus de trois semaines. «Le problème dans cette histoire, c’est l’instabilité du climat. Il est difficile de savoir ce qui nous attend d’une année sur l’autre et nous nous retrouvons soit en manque d’eau, soit en excès !» Cette année, l’agriculteur assure avoir dépensé des milliers d’euros pour planter de la luzerne et du trèfle afin de nourrir ces chèvres et atteindre l’autonomie protéique. Mais tout a grillé avec le froid. Il soupire : «La vérité c’est que nous sommes tous démunis face aux aléas du climat.»