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Libération
Solutions solidaires: tribune

Récit rural, récit national : le futur s’écrit au village

La régénération des campagnes induit une logique d’aménagement du territoire qui doit prendre en compte la spécificité de chaque contexte territorial.
La société rurale se réinvente, innove, prend à bras-le-corps les problématiques qui nous concernent tous. (Lilian Casabet/Hans Lucas via AFP)
par Jérôme Saddier, Président de Bouge ton coQ!, Corentin Emery, membre fondateur de Bouge ton coQ!, Rémi Branco, initiateur de L’appel des territoires, Thierry Germain, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et Corinne Royer, romancière
publié le 17 novembre 2024 à 23h45

Les campagnes semblent avoir disparu du récit national. Alors que la France des bourgs et des villages a inspiré la construction de l’édifice républicain, influé le tracé de ses limites administratives, forgé son armature agricole et industrielle, fourni ses élus et nourri ses forces vives, tout se passe comme si l’avenir, désormais, se jouait ailleurs. A l’heure où notre modèle démocratique, social, économique, écologique nécessite d’être discuté au regard des périls qui nous guettent et des espoirs qui nous sont permis, un tiers des Français s’interroge légitimement sur leur pleine appartenance à la nation.

Nous laissons un jeune Français sur trois atrophier ses rêves et limiter ses capacités, nous sommes sourds à l’interrogation des agriculteurs sur leur identité et les injonctions paradoxales qui minent leur amour du métier, nous semblons accepter que la santé de certains importe moins que celle d’autres, nous feignons d’ignorer que l’érosion du pouvoir d’achat dans les campagnes limite l’acceptabilité de la transition énergétique, redouble la tragédie de la fermeture d’un service de proximité essentiel à la vie quotidienne.

Pourtant, la société rurale se réinvente, innove, prend à bras-le-corps les problématiques qui nous concernent tous. Elle participe pleinement à la réinvention de notre récit commun, selon un modèle qui lui est propre et qui porte en tant que tel une voie désirable (et désirée) par l’ensemble des Français. Aucune des difficultés inhérentes au mode de vie rural n’est acceptée par celles et ceux qui y vivent. Le sentiment d’abandon, l’anxiété, l’impression de relégation des populations rurales n’est pas une donnée à prendre en compte, c’est une limite qui est sans cesse repoussée par la foule immense de citoyens, de maires, d’associations, d’entreprises locales qui ne renonceront jamais à inventer à leur propre chemin et valorisent par là un certain art de vivre citoyen.

Cette nouvelle société rurale s’incarne dans la dynamique associative, la densité des liens de solidarité à l’échelle du voisinage, le dévouement des maires ruraux, la créativité des coopérations multi-acteurs qui réinventent la manière même dont nous pouvons produire des services du quotidien dans un contexte de ressources restreintes. Nous mesurons chaque jour à quel point le mode de vie rural et le modèle de cohésion propre au village, mâtiné de confiance à l’égard de ses proches et de méfiance à l’égard de pouvoirs distants, ne constituent pas un frein à l’initiative mais des ressources au bénéfice de l’intérêt général.

La régénération des campagnes induit une logique d’aménagement du territoire qui prend en compte la spécificité de chaque contexte territorial. A l’encontre des réflexes aménagistes, guidés par une rationalisation statistique éloignée du vécu sensible de tel ou tel territoire, une politique crédible de développement du territoire s’appuie sur l’accompagnement des initiatives locales. Cela suppose de réinventer les relations entre la société civile organisée et les ordonnateurs des politiques publiques locales et nationales en privilégiant le soutien en ingénierie, en financement, en compétences au profit de la myriade d’expérimentations locales qui participent à faire émerger une conscience et un imaginaire ruraux à part entière.

L’inventivité rurale modèle un nouveau mode de vie à la campagne. Elle repose sur la valorisation des atouts propres aux territoires ruraux, à l’engagement des citoyens, des responsables associatifs locaux, des élus de proximité, du foisonnement des initiatives pensées depuis le premier kilomètre des besoins et chacun dessine une figure exemplaire du récit qui manque aux citoyens ruraux pour se définir par eux-mêmes comme membres de plein droit de la nation. Le soutien et l’attention portés au récit rural portent en eux la promesse d’un récit national qui n’éclipse plus 20 millions de Français déterminés à prendre leur part à l’invention du modèle français du XXIe siècle. Ce petit livre (1) invite à en débattre pour produire des actions et des décisions concrètes dès maintenant.

(1) Toi des villes et moi des champs, les ruralités au XXIe siècle, éditions de l’Aube et Fondation Jean-Jaurès, en librairie le 22 novembre, 7 euros.