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Climat Libé Tour : tribune

Reconnaître les droits de l’océan pour lui rendre justice

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La juriste Marine Calmet et l’océanographe François Sarano appellent à reconnaître des droits de l’océan pour ainsi réfléchir à une cohabitation avec le monde marin, qui subit les activités humaines, sans défense possible.
Un Brachaluteres taylori, ou poisson-lime, poisson tropicale dans le détroit de Lembeh en Indonésie. (Colin Marshall/Biosphoto)
par Marine Calmet, (Wild Legal) et François Sarano, (Longitude 181)
publié le 24 mars 2025 à 10h14

«L’océan, c’est quoi l’océan ?» demandait un enfant à Jacques Perrin lors du tournage du film Océans. Aujourd’hui, nous répondons : l’océan, c’est le cœur battant de notre planète, une communauté vivante à laquelle nous sommes irréductiblement liés par 3,8 milliards d’années de coévolution. C’est notre bien commun le plus précieux et pourtant, le plus négligé.

Notre société extractiviste ne mesure l’océan qu’avec ses œillères utilitaristes : tonnes de poissons, barils de pétrole, minerais, voies navigables, et même poubelle-loin-des-regards. Nous empoisonnons l’océan sans nous soucier de ses habitants que nous massacrons sans égards, comme s’ils n’étaient que matière anonyme et remplaçable. Pourtant, chacun est un individu à part entière, un être unique avec sa personnalité, ses interdépendances singulières qui lui offrent une place essentielle dans l’équilibre et la résilience de la vie sur notre planète. L’étoile de mer, le requin, la méduse, le dauphin, l’oursin, le bryozoaire, chacun est un nœud de la «toile du vivant» dont chacun de nous, humain, fait partie.

Pourtant, notre droit ne reconnaît pas l’existence des créatures marines. Elles sont considérées comme des res nullius, des choses sans maître, exploitables à merci. Elles ne sont visibles qu’au moment où elles deviennent «ressources». Une étoile de mer prise dans un filet passe ainsi du statut de bien commun à celui de propriété du pêcheur. Mais, comme elle n’est pas une ressource, elle est rejetée morte écrabouillée et retombe aussitôt dans l’anonymat de la matière et dans l’ignorance générale. Nous avons construit un système juridique qui s’appuie sur la négation de l’existence des autres vivants et qui, ainsi, organise la destruction de l’océan plutôt que sa protection.

Un changement de paradigme indispensable

Cette invisibilisation des écosystèmes marins conduit à leur anéantissement. Les forages en mer, la surpêche industrielle, l’exploitation minière des grands fonds sont menés sans considération pour ceux dont on ne reconnaît pas l’existence. Pire, les lois qui tentent de protéger le vivant sont constamment contournées au nom des intérêts économiques.

Il est temps de renverser cette logique et de reconnaître à l’océan un statut juridique qui le protège. Il est temps de donner un droit d’existence à chaque organisme pour que nous, humains, soyons forcés d’ajuster nos activités afin qu’elles s’accordent à leur droit de vivre. Partout dans le monde, des communautés s’engagent pour la reconnaissance des droits des écosystèmes : en Equateur, les écosystèmes marins ont des droits propres, au Panama, les tortues sont reconnues comme sujet de droit, en Espagne, une loi de 2022 a reconnu les droits de la lagune Mar Menor (la mer Mineure) pour en protéger tous les habitants, humains et autres qu’humains. Pourquoi pas l’océan ?

Il s’agit d’un changement de paradigme indispensable. Ce ne sont pas seulement les espèces «utiles» ou charismatiques qu’il faut protéger, mais l’ensemble du vivant, dans toute la diversité de ses interdépendances. Car nous sommes tous reliés.

Pétition

Reconnaître les droits de l’océan, c’est garantir son intégrité et sa régénération, en empêchant sa privatisation et son exploitation aveugle. C’est refuser qu’il soit réduit à une marchandise et affirmer qu’il est un monde en soi, avec ses propres règles, dont nous devons être les gardiens et non les bourreaux. C’est vouloir offrir une planète vivable aux générations qui viennent. Nous n’avons pas le droit de renoncer, il est temps d’agir. Mais pour cela, nous devons sortir de l’aveuglement qui nous pousse à l’autodestruction. L’avenir de nos enfants sur une planète désirable dépend de la santé de l’océan. Rendons-lui justice.

Nous avons lancé une pétition qui a déjà rassemblé plus de 33 000 personnes pour demander l’inscription des droits de l’océan dans la Déclaration de Nice qui sera adoptée lors de la Conférence des Nations unies sur l’océan en juin. Une coalition mondiale s’est construite, réunissant des ONG des quatre coins du monde et soutenue en France par plusieurs personnalités majeures du monde scientifique et militant. Nous appelons chaque personne, organisation et institution publique à soutenir cette proposition, à la partager et à nous rejoindre.