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Redonner ses lettres de noblesse à un urbanisme de l’ordinaire

Il faut penser différemment notre manière de construire, analyse Séverine Bonnin-Oliveira, maître de conférences en aménagement et urbanisme.

Cité cheminote de Venarey-Les Laumes (Côte-d'Or), en 2021. (Claire Jachymiak)
Par
Séverine Bonnin-Oliveira
maître de conférences en aménagement et urbanisme
Publié le 21/10/2025 à 23h14

Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat ? Plongée, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) dans les initiatives qui améliorent les politiques urbaines.

Des territoires métropolitains jusqu’à l’espace rural, la crise du logement affecte le quotidien d’un nombre croissant de citoyens contraints dans leurs choix, voire bloqués dans leurs parcours résidentiels. Demandeurs en attente de logement social, «Tanguy» contraints de rester (ou de revenir) au domicile familial, accédants à la propriété en périphérie éloignée, ménages en situation de surpeuplement… nombreux sont les exemples à rendre visible ce décalage multiple entre l’offre et la demande en logements.

Le constat n’est pas nouveau mais vingt-cinq ans d’action publique n’ont pas suffi à en sortir. Depuis la loi SRU, les textes se sont pourtant succédé pour fixer l’ambition en matière de production (objectif des 500 000 logements par an affiché depuis la loi Molle de 2009) et provoquer le «choc d’offre» (expression consacrée depuis la loi Elan de 2019) à même de l’atteindre. Parmi la multiplicité des facteurs avancés pour expliquer cette incapacité à résorber la crise, il en est un qui fait consensus chez les acteurs de la production de logements : le changement concomitant de paradigme en matière d’aménagement. Longtemps fondé sur la mobilisation d’un foncier facile, à bas coût, en périphérie des agglomérations, il doit depuis le début des années 2000 être au service d’un développement durable impliquant maîtrise de l’étalement urbain et construction de la ville sur la ville. Alors que le cadre s’est encore durci en 2021 en projetant la fin de l’artificialisation nette des sols d’ici 2050, sortir de l’impasse suppose d’inventer un urbanisme de la sobriété foncière réinvestissant l’existant pour faire la ville sur la ville.

Les opportunités pour produire du logement différemment au sein de l’enveloppe urbaine existent. Hier invisibles ou sciemment délaissés au profit de l’aménagement de fonciers moins complexes, bâtis vacants (logements, bureaux ou locaux d’activités) en attente de projet ou sous-occupés d’un côté ; terrains inoccupés (friches, délaissés et dents creuses) de l’autre, sont aujourd’hui au centre de l’attention. Les associations, à l’image de la Fondation pour le logement des personnes défavorisées ou la Fondation pour la nature et l’homme, chiffrent leur potentiel. Aux échelles nationales comme locales, les acteurs publics lancent des études voire s’engagent dans la mobilisation de ces gisements (transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, lutte contre la vacance). Les opérateurs y expérimentent d’autres manières de faire du logement (densification douce, surélévation…).

Mais les défis sont nombreux. D’abord, l’intervention dans du tissu constitué, en densification ou en intensification d’usages, peine à trouver son modèle économique face au faisceau de contraintes patrimoniales, techniques, réglementaires, administratives qui la traverse : les conditions d’abordabilité et de réplicabilité de ces projets réalisés dans la dentelle restent à trouver face à l’ampleur de la demande. Ensuite, afin de rencontrer les besoins et attentes des ménages, l’offre de logements doit se faire plus qualitative et être pensée en lien avec une attention au cadre de vie : la réussite de la lutte contre la vacance, de la surélévation, de la densification d’une dent creuse… dépend de la capacité à (re)donner envie d’habiter la ville déjà là par un travail conjoint sur ses espaces publics et de nature, sa desserte, ses commerces…

Redonner ses lettres de noblesse à un urbanisme de l’ordinaire longtemps invisibilisé par l’urbanisme des grands projets, tel est le défi lancé aux acteurs de la fabrique de la ville.