A Avignon, la Villa créative propose de confronter les savoirs scientifiques, pédagogiques et artistiques pour créer de nouvelles connaissances. Un événement dont Libération est partenaire.
Fabriquer la ville avec l’existant : voilà de quoi inspirer l’architecte Alfonso Femia et son équipe, qui ont fait de cet idéal l’une de leurs spécialités (on leur doit notamment les Docks marseillais et la restructuration des Frigos de Milan). En 2018, ils remportent le concours lancé par le rectorat de l’Académie Aix-Marseille, aux côtés de l’atelier DLAA et des paysagistes d’Après la pluie. Il s’agit de restaurer l’ancienne école normale construite en 1887, devenue l’annexe de la fac de sciences. Le lieu a été peu à peu délaissé, jusqu’à son abandon en 2014 : trop énergivore, il est aussi trop limité d’un point de vue technique pour accueillir les équipements actuels des laboratoires de chimie.
Mais l’élégante passoire thermique ne manque pas d’atouts. Christophe Gillet, associé chez DLAA (l’agence intervient avec sa casquette d’architecte du patrimoine), se souvient de sa surprise en découvrant rue Louis-Pasteur, en plein centre d’Avignon, ce bâti central, avec son annexe, sa conciergerie et son parc si bien préservés. Un témoin d’une architecture de la fin du XIXe siècle qui n’est pas rare, mais qui a souvent été très modifiée, et n’a suscité qu’un intérêt tardif. Là, entourée de murs de pierres et de beaux arbres (des platanes, quelques cèdres, un cyprès…), l’ancienne école normale se laisse d’abord imaginer, faute de pouvoir être contemplée d’emblée. Nicolas Renard, paysagiste de l’agence Après la pluie évoque un site «mystérieux, charmant», qui détonne avec les façades environnantes en bord de rue. «Pour un paysagiste, un jardin en ville, c‘est un événement. C‘est à chaque fois une fête.» Il faut dire qu’un jardin patrimonial intramuros reste un objet rare. Ici, le choix de la réhabilitation a libéré «soudainement une offre foncière incroyable, de 8 200 m² de jardins et bâtiments patrimoniaux au très fort potentiel» se réjouit Christophe Gillet.
«Garantir sa pérennité pour un siècle»
Pour un budget total, «basique» selon Alfonso Femia, de 16,5 millions d’euros, voici donc l’ancienne faculté des sciences prête à entamer sa nouvelle vie. Si elle avait ses faiblesses, la structure d’origine a tenu le choc. «Le bâtiment était tellement cohérent, rationnel, que l’enjeu majeur était d’en prendre soin», détaille l’architecte Paul Rolland de DLAA. Grâce à ses grands espaces, bien éclairés, bien desservis, le lieu offre en effet une grande adaptabilité – il a d’ailleurs déjà résisté à de multiples histoires. «Nous souhaitons garantir sa pérennité, idéalement pour un siècle», défend-on chez DLAA, où la vigilance a été vive de ne pas répondre à la seule tendance du moment, qui aurait condamné le lieu à une obsolescence trop rapide.
La transformation n’a toutefois pas été sans contraintes. Amandine Aubrée, chef de projet pour Alfonso Femia, précise : «Notre premier objectif était de conserver la géométrie et l’enveloppe originelle du bâtiment.» L’obligation, liée au respect patrimonial (le site est inscrit dans le secteur sauvegardé d’Avignon), a ouvert des solutions inattendues. Car il n’est pas si simple de faire rentrer dans la bâtisse du XIXe siècle l’ambitieux programme de la Villa créative (deux pavillons, des bureaux, des plateaux artistiques, un auditorium, un studio de captation, une brasserie…).
Alors pour repousser les murs sans bouger l’enveloppe d’origine en forme de U, l’équipe d’Alfonso Femia a trouvé une parade : abaisser le plancher des combles, qui étaient restés inutilisés, pour profiter de la hauteur sous plafond ainsi obtenue en créant un dernier étage. «Nous avons gagné un espace qui n’existait pas», résume Femia. Par ailleurs, les réseaux ont été laissés apparents, un choix esthétique autant que pratique. Autre axe de travail : faire dialoguer le bâtiment et le jardin, en créant des porosités entre le rez-de-chaussée et l’extérieur. «Le jardin est comme une place, un espace de pause, propice aux rencontres.»
«Le courage d’affirmer certaines choses»
A l’intérieur, les architectes ont créé trois ambiances bien distinctes : le rez-de-chaussée, où la hauteur sous plafond est importante, abrite des événements destinés à un large public, dont l’auditorium aux ouvertures généreuses donnant sur le jardin. Les étages supérieurs, plus restreints, accueillent des activités plus individuelles (des bureaux administratifs sont installés au premier étage). Les matériaux d’origine ont été préservés (ici, les intérêts patrimoniaux ont rencontré ceux de l’économie et de l’écologie), et remplacés quand cela s’est avéré nécessaire. Ainsi des charpentes, où le bois a été sauvegardé par endroits, en témoin du passé, et remplacé ailleurs par des profilés métalliques dont l’aspect ne laisse pas de doute sur leur caractère contemporain. De nombreux éléments en fonte, en fer forgé, tels les garde-corps, des menuiseries, et même certains enduits, ont pu également être conservés.
Ce travail sur l’existant exige une certaine humilité, relève Alfonso Femia. Difficile d’être trop innovant, trop démonstratif au vu des contraintes patrimoniales ; en même temps, il faut «avoir le courage d’affirmer certaines choses», plaide l’architecte. A la Villa créative, la transformation de l’escalier de trois étages fait office de déclaration : en métal et céramique, il crée un jeu de lumières et un contraste franc avec l’existant. «Nous avons réussi parce que nous sommes fous», sourit Alfonso Femia, qui évoque les casse-tête du chantier : une activité fragmentée en plus d’une trentaine d’entreprises et autant de sous-traitants (dont une partie n’était pas spécialiste de la réhabilitation), mais aussi la découverte d’une pollution au mercure dans les sols extérieurs et dans les murs d’une aile en rez-de-jardin qui a retardé le chantier (visiblement, les chimistes d’antan étaient peu regardants sur le déversement de leurs potions). Cet imprévu a complexifié les études, et augmenté le budget de l’opération, regrette l’architecte. Mais in fine, Alfonso y croit : «Ce lieu donnera beaucoup à la ville.»