En partenariat avec l’Ecole des arts décoratifs, l’Ecole normale supérieure – PSL et le Muséum national d’histoire naturelle, Libération organise le 23 septembre une biennale pour célébrer le vivant. En attendant cette journée de débats et d’échanges, nous publions sur notre site tribunes et éclairages sur les thématiques qui seront abordées durant la biennale.
Dans une tribune de 1908, le romancier allemand Hermann Hesse expliquait que l’expérience de la nature (une longue promenade dans un bois, une randonnée en montagne, une plongée dans les profondeurs de la mer) permettait de saisir à la fois la différence et l’unité qui nous relient au vivant : une sensation de parenté, d’appartenance, d’intimité, qui s’enracine avec la force d’une émotion esthétique et la forme d’une conviction morale.
Mais aujourd’hui, au moment où l’expérience de la nature se fait rare, aperçue dans des réserves touristiques ou rêvées dans des utopies régressives, où et comment avons-nous accès à cette sensation fondatrice d’unité avec le vivant ? Quels espaces et quels temps s’offrent à nous pour en susciter une adhésion (ou une négation) émotionnelle ou affiner une conviction morale ?
Au-delà de la politique, polarisée par l’impératif du consensus, un lieu singulier me semble pouvoir assumer ce rôle essentiel, que, jusqu’ici, on lui a trop rarement attribué : le musée.
Mais non pas le musée comme nous sommes habitués à le concevoir – comme le lieu sacralisé des monuments qui composent une identité, ou des documents qui imposent une vérité. Au contraire, le musée comme lieu d’expérimentation du social.
Aujourd’hui, comme pour le droit, le chantier principal qui défie l’art contemporain est celui de l’extension de l’horizon du social, qui se doit de devenir de plus en plus inclusif, au-delà même du périmètre, encore fragmenté, de l’humain. Et le lieu de ce défi, le workshop où les nouvelles formes du social peuvent être expérimentées, testées, vérifiées, partagées, critiquées, négociées, c’est le musée.
Mais, encore, non pas le musée comme institution verticale, qui exprime une autorité, qui procède par l’imposition d’une identité normative ou d’une vérité exclusive, mais comme lieu communautaire, ouvert, instable, foncièrement pluriel : chantier de la différence et non de la défiance, de l’universalité et non de l’universalisme. Espace vivant, espace du vivant.
Il faut alors attribuer au musée un rôle politique, ou mieux reconnaître son rôle fondamental, justement car il dépasse la politique – les négociations pour la cohabitation humaine – pour viser une dimension plus large, où la cohabitation est partagée avec tout le vivant. Si la fonction de l’école est l’éducation, celle du musée, et en général des institutions de l’art, est l’édification, de contribuer à la construction de la maison (aedes en latin) commune. En proposant des définitions, en partageant des témoignages, en rappelant des mémoires et en révélant des projections, en faisant confluer esthétique et morale, émotion et raisonnement : bref, en proposant des expériences, des expérimentations du social en mutation.
Aujourd’hui, dans la société, le musée est trop souvent relégué dans un espace marginal, aux frontières de l’animation culturelle, de l’industrie du luxe ou de l’«entertainment». Il faut le remettre au centre. Ce ne sont pas seulement les programmes qui doivent être repensés, pour laisser la place et la parole au vivant, mais sa fonction sociale.
Le musée, espace non consensuel mais radical, appartient à la communauté, car il est le chantier de la communauté à venir. Aussi au-delà de l’humain.