Comment faire rimer éducation et innovation ? A l’occasion des 20 ans du Café pédagogique, Libération organise avec des enseignants et nos invités une journée de débats et d’échanges, le 25 novembre à Paris. En attendant ce forum, rencontres avec quelques professeurs.
«Je suis professeur des écoles, avec une certification complémentaire pour être enseignante spécialisée Cappei (certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive). Cela fait des années que je travaille avec ces élèves ayant besoin d’accompagnement. J’ai longtemps travaillé avec des jeunes autistes, majeurs et déficients intellectuels. Il y a cinq ans, pour les présidentielles, l’Adapei (1) du Territoire de Belfort voulait inciter les jeunes en situation de handicap à aller voter. Traiter le côté logistique avec eux, cela ne suffisait pas. Quel sens donner à ce geste s’ils ne comprennent pas l’élection, l’enjeu du vote ? En réalité, au niveau des débats politiques, le lexique employé est tellement compliqué, qu’il leur fallait se faire leur idée pour aller voter.
«Recherche du candidat idéal»
«J’ai lu les programmes des candidats et fait des résumés, avec une idée par candidat sur la justice, l’éducation, la sécurité. J’ai traduit les programmes en français simplifié [falc, facile à lire et à comprendre, ndlr] et en pictogramme. Chaque candidat mettait en avant un thème, c’était validé par ma hiérarchie pour ne pas avoir de parti pris. Il me fallait reprendre les phrases qui sont dans les programmes. On a aussi travaillé sur des extraits de discours, en les ralentissant. Cela a constitué un travail de trois mois, créé beaucoup de motivation, sensibilisé leurs parents. On a effectué une recherche sur le candidat idéal, comment se positionner, se faire un avis. Ils se sont retrouvés acteurs de cette idée-là.
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«Les mesures prises en général par les candidats sont essentiellement ciblées sur les handicaps moteurs, le braille. Le handicap cognitif n’est pas très pris en compte. Dans son programme, la candidate du Rassemblement national disait : «On va favoriser l’emploi pour les Français.» Eux, ils trouvaient cela bien, «car on ne sera pas au chômage».
«Projet de société»
«Je les connaissais, mes élèves, il y avait un immense travail de préparation à faire en amont pour rendre accessible cette idée du vote. Il faut être créatif, connaître leurs difficultés, leurs forces. Quand on travaille avec des jeunes comme cela, on ne sort pas un manuel. Ils ont 18 ans, niveau d’un enfant de CP, mais ils ont des intérêts de jeunes comme les autres.
«J’y ai mis beaucoup d’énergie et de passion avec des jeunes qui avaient des histoires aussi dures, on est parfois seuls et aussi démunis. J’étais soutenue par l’Adapei mais la somme de travail consacrée est énorme. Le petit livret que j’ai fait avec la traduction des programmes, plein de gens me l’ont demandé… Tous ces outils créés ont changé ma vision de l’enseignement, je tape en caractère 14 au lieu de 8, avec au bout du compte l’idée d’une société plus inclusive. C’est un projet de société ou ce qui convient à une personne convient à tous. Au final, c’est un investissement, une éthique, dont on veut être acteur.»
(1) Association à but non lucratif organisée en délégations départementales qui œuvre en faveur des droits des personnes souffrant de handicap mental et de leurs familles.