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Libération
Le Parlement des liens: éclairage

Renouer le fil de l’eau, du débit à la fin

La journée Libé du Parlement des Liensdossier
Le collectif Hydromondes, qui réunit professionnels et militants, a arpenté le Pays d’Uzès pendant huit mois pour remettre l’eau au cœur de l’organisation politique des territoires.
(Léa Djeziri/Libération)
par Sarah Finger, correspondante à Montpellier
publié le 29 septembre 2023 à 5h59
(mis à jour le 29 septembre 2023 à 19h57)

La voix de l’eau s’amplifie. Le débit s’accélère. Dans ce courant croissant, les citoyens deviennent porte-parole des fleuves et des rivières… Alors qu’un peu partout en France, des communautés locales de l’eau s’organisent pour réfléchir à la gestion d’une ressource devenue rare, Hydromondes, collectif «à la croisée des arts, des sciences et des luttes» s’est intéressé aux bassins-versants et aux solidarités qu’ils peuvent générer. En résidence en Uzège, l’association vient d’établir un diagnostic biorégional découlant d’une enquête populaire, répondant ainsi à l’un des buts fixés par le Parlement des liens, à l’initiative du projet : «Anticiper pour pouvoir prendre les bonnes décisions collectivement.»

La démarche n’est pas unique. Certaines initiatives s’organisent très localement, comme dans l’Hérault où s’est tenue, le 28 août, une «Assemblée du Lez» réunissant les défenseurs de ce fleuve côtier qui prend sa source au nord de Montpellier avant de se jeter dans la Méditerranée. D’autres mobilisations s’étendent sur des territoires bien plus vastes : ainsi, l’«Assemblée populaire du Rhône» lutte pour la préservation, l’intégrité et l’instauration de nouveaux droits à ce fleuve. A l’ouest, on s’attelle à instaurer un «Parlement» qui défendrait les intérêts de La Loire et ferait émerger une culture commune tout au long de ses méandres.

«Remettre l’eau au cœur de l’organisation politique»

Dans ce contexte, un bassin-versant constitue-t-il l’échelle la plus pertinente pour établir l’état de santé de l’eau d’un territoire ? Pour dresser un diagnostic éclairé, faut-il s’intéresser aux fleuves, de leur source à leur embouchure, et analyser de l’amont à l’aval l’interdépendance qui relie les vivants ? Le collectif Hydromondes, qui a mené ce travail d’enquête sur le territoire d’Uzès, est convaincu de l’intérêt d’une telle démarche. «Les frontières administratives, incohérentes du point de vue de l’eau, découpent la terre de façon artificielle. Les bassins-versants, eux, transcendent nos frontières et structurent toute l’hydrologie. Se concentrer sur eux, c’est remettre l’eau au cœur de l’organisation politique», explique Marin Schaffner, auteur, traducteur, éditeur et membre d’Hydromondes.

Ce collectif réunissant une quinzaine d’architectes, géographes, ethnologues, artistes ou militants s’appuie dans ses travaux sur le biorégionalisme, un courant politique et culturel venu d’Amérique qui prône une réorganisation humaine autour des frontières naturelles. Pour Marin Schaffner, «cette vision du territoire à l’échelle du vivant nous invite à être des habitants plutôt que des consommateurs. Elle réveille une culture collective, très ancienne, qui incite à prendre soin de nos lieux de vie. Or cette culture, nous l’avons perdue».

Mettant la théorie en pratique, le collectif Hydromondes a arpenté le pays d’Uzès durant huit mois à la rencontre d’élus, d’agriculteurs, d’acteurs associatifs, d’institutions, de collégiens. «Les enjeux soulevés dans le cadre de cette résidence participent d’un renouvellement des imaginaires politiques», estime Clémence Mathieu, paysagiste-conceptrice qui elle aussi a participé à ce travail de terrain.

«Fête des lavoirs»

Symboles des liens unissant l’eau et ses usagers, les anciens lavoirs d’une dizaine de villages ont retrouvé leur aura sociale et conviviale en mai, à l’occasion d’une série d’animations organisées par le collectif. Durant cette «fête des lavoirs», les membres d’Hydromondes ont pu échanger avec les habitants, les impliquer dans des ateliers, leur présenter les résultats de leurs travaux mis en scène dans une exposition itinérante.

«Ce territoire est à la croisée des chemins. Les infrastructures ne sont pas préparées au manque d’eau, l’urbanisation se poursuit, la pression anthropique demeure très forte», analyse Marin Schaffner, qui souligne toutefois plusieurs points positifs : des maires à l’écoute, de nombreux espaces naturels relativement protégés, une dynamique engagée portée par des habitants… Pour Clémence Mathieu, les enjeux liés à l’eau ne peuvent se départir des «enjeux de subsistance». Il n’empêche : «Une dynamique populaire peut émerger de la complémentarité des approches et des modalités d’action, dans une mise en réseau et une compréhension globale.» Un mouvement émanant du territoire, nourri des préoccupations de ses habitants «qui peut ainsi participer pleinement au renouvellement du politique».