Du 3 au 6 avril 2025 à Bordeaux, le Fonds de dotation Quartus pour l’architecture organise une série de rencontres, ateliers et explorations urbaines sur la manière de concevoir et habiter les villes. Un événement dont Libération est partenaire.
Entre 1994 et 1997, lorsque j’étudiais à Genève, se loger était déjà un véritable défi. Depuis une vingtaine d’années, des groupes militants revendiquaient un accès au logement abordable et un droit à vivre un projet collectif en occupant des immeubles vacants dans une ville où la spéculation immobilière était très forte.
Mes recherches de logement s’orientent rapidement vers un immeuble occupé depuis peu à Carouge. Dans ce squat, je rencontre un groupe d’une douzaine d’habitants composé d’étudiants, d’artisans et d’artistes. L’immeuble, datant de la fin du XIXe siècle, possédait deux niveaux avec combles au-dessus d’un grand rez-de-chaussée commercial. A l’arrière, une coursive distribuait l’ensemble de l’habitation composée d’une dizaine de pièces. Nous étions installés comme dans une grande maison.
Avant mon arrivée, les habitants avaient convenu de la façon d’occuper les espaces : la grande pièce au premier serait dédiée à l’espace commun dans lequel une cuisine partagée serait installée, les chambres de taille variable seraient attribuées en fonction de la situation de couple ou de célibat mais aussi de la nécessité de travailler chez soi, une grande salle de bain commune viendrait compléter les lavabos présents dans chacune des chambres…
Par la suite, régulièrement, nous discutions des évolutions à apporter à la programmation de «notre» immeuble. L’espace commercial du rez-de-chaussée fut transformé en restaurant associatif, les combles inoccupés furent adaptés en chambre d’hôtes pour accueillir temporairement les personnes en situation de précarité. Ainsi, le projet de vie partagé s’est co-construit pendant trois années dans l’échange autour de valeurs simples de partage et de définition des communs tout en étant attentif à l’intimité de chacun.
Cette expérience collective, vécue depuis l’intérieur, a largement contribué à caractériser mon parcours professionnel tant dans le cadre académique de mon enseignement que dans celui de l’agence Fagart & Fontana. Grâce à la démonstration d’une vie collective possible, les squats ont établi un modèle d’habitat fonctionnel pour une partie de la population, inspirant les coopératives de logements qui connaissent aujourd’hui un grand succès en Suisse.
Les couloirs se transforment en rues intérieures
A l’heure où les enjeux de la ville durable nous incitent à ne plus détruire et à explorer le potentiel d’adaptation de bâtiments existants, nous nous intéressons à la mutation du bâti, suivant une dynamique de continuité et de réinvention, tout en interrogeant la dimension sociale. Définir collectivement la programmation, élaborer les règles du vivre ensemble, explorer la capacité des immeubles existants à muter et spatialiser une architecture du commun sont autant d’entrées possibles pour repenser le logement collectif contemporain. Les halls ne sont plus de simples lieux de transit, ils deviennent des espaces de rencontre et d’échange. Les couloirs se transforment en rues intérieures, les escaliers éclairés en lieux de sociabilité. Les logements, loin des standards, offrent de nombreuses typologies adaptées aux besoins et aux parcours résidentiels de chacun : grands appartements partagés combinant espaces privatifs et collectifs, petits appartements autonomes complétés d’espaces partagés et équipés, etc.
En explorant collectivement ces territoires de projet, nous pourrions contribuer à «renouveler la ville depuis l’intérieur», une ville plus généreuse, attentive et juste.