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Repenser les aménagements urbains en optimisant les mètres carrés existants

Finance solidaire et logementdossier
Au-delà de la vacance des logements et des bureaux, le gâchis immobilier est aussi le fait d’une sous-utilisation massive des bâtiments et espaces. Pour y remédier, il convient d’intensifier leurs usages, plaide Eléonore Slama, adjointe à la maire du XIIe arrondissement de Paris.
Une publicité pour des bureaux nouvellement construits à louer, dans le XIIIe arrondissement de Paris. (Serge Attal/Only France)
par Eléonore Slama, adjointe à la maire du XIIe arrondissement de Paris
publié le 23 janvier 2025 à 15h26

La lutte contre le gaspillage alimentaire, contre le gaspillage de l’eau, de l’énergie ou encore la lutte contre la mode jetable ont fait l’objet d’une prise de conscience sociétale récente provoquant initiatives diverses et actions des pouvoirs publics. Mais pourquoi dans un contexte de lutte contre le changement climatique et contre l’artificialisation des sols, alors que de nombreux espaces urbains sont aujourd’hui massivement sous-utilisés et malgré des besoins criants de logements, la question du gaspillage immobilier passe-t-elle encore sous les radars ? Une prise de conscience semble aujourd’hui indispensable.

Ce gâchis immobilier se caractérise bien sûr par la vacance – 3,1 millions de logements vacants, 9 millions de mètres carrés de bureaux vides, 170 000 hectares de friches disponibles – mais aussi et surtout par la sous-utilisation massive et généralisée de nos mètres carrés. Partout sur notre territoire, le taux d’usage moyen des bâtiments et des espaces, qu’ils soient publics ou privés plafonne autour de 20 % seulement. 80 % du temps, nos bureaux, nos écoles, nos équipements publics sont donc vides et ne servent à rien ni à personne. Pourtant, alors que nous sous-utilisons massivement nos mètres carrés, l’artificialisation des sols continue. De plus, après avoir été annoncée, la bombe sociale du logement est en train d’exploser avec une crise qui s’accélère de manière très inquiétante : 4,2 millions de personnes sont mal-logées dont 330 000 sont sans abri et plus de 2 000 enfants qui dorment à la rue.

Potentialités et bénéfices multiples

Ces paradoxes devraient interpeller et inciter à la mise en œuvre de stratégies de résorption. Plutôt que de continuer à investir tous azimuts dans une pierre de moins en moins occupée mais toujours aussi nocive pour l’environnement, il serait de bon sens d’optimiser l’utilisation des mètres carrés existants en repensant les aménagements urbains au prisme de la chronotopie et en incitant à la mutualisation, à l’hybridation et à la réversibilité. Des exemples d’espaces intenses, il en existe de tous types sur le territoire, mais cette pratique devrait être portée à une échelle bien plus importante. Car elle révèle des potentialités et des bénéfices multiples à la fois écologiques, sociaux et économiques. Ces périodes d’inutilisation permettraient en particulier en accueillant plus d’usages, de répondre à des besoins non satisfaits qui trouveraient ainsi une place sans construire davantage. En cela, elle constitue un puissant levier environnemental qui contribue à limiter l’étalement urbain et à préserver nos ressources tout en améliorant la qualité de vie. En plus de produire du lien social.

Parce que la ville agit comme une matrice susceptible d’orienter les relations que nous entretenons – ou pas – les uns avec les autres, l’intensification des usages de nos bâtiments peut permettre de reconstruire ou créer des cadres de frottements, de rencontres et d’échanges, de multiplier les opportunités et ainsi faire éclore des relations entre les citoyens. Et ça peut marcher ! Car l’intensité d’usage n’est pas une injonction à̀ la sociabilité. Elle ne l’impose pas mais elle permet de fait, d’à nouveau faire se croiser les êtres et en démultipliant les cadres de rencontres, de renouveler l’écosystème social.

Un projet de société positif et fédérateur

En outre, si l’intensification des usages dans les villes denses a quelque chose de logique voire de naturel, elle est tout aussi pertinente dans les zones rurales et les villes de taille moyenne. Aucun cinéma dans telle intercommunalité, aucun musée ni lieu d’exposition dans tel autre, pas de piscine ou de terrain de sport ici, ni de point d’accès au numérique et à une imprimante là, etc. La fracture territoriale n’est pas un mythe. Elle illustre une réalité d’inégalités entre les territoires d’une France à̀ plusieurs vitesses. Surtout, le manque de services publics accentue encore le sentiment d’abandon de l’Etat. Dans ces territoires, des lieux pourraient être utilisés pour répondre à̀ des besoins non satisfaits. Il ne faut rien s’interdire. Ecoles, mairies, Ehpad, hôtels, villages de vacances, ou entreprises pourraient, par exemple, facilement accueillir un autre public ou d’autres usages le temps de quelques heures, d’un week-end ou de plusieurs semaines et offrir ainsi de nouveaux services aux habitants des territoires.

L’intensification des usages est résolument un projet de société positif et fédérateur. Alors que le changement climatique nous oblige à réagir, changeons de regard sur les mètres carrés qui nous entourent et transformons les crises que nous traversons en opportunité pour réparer nos environnements et recréer de l’habitabilité en utilisant nos espaces intensément.

Eléonore Slama est l’autrice d’En finir avec le gâchis des mètres carrés. Plaidoyer pour l’intensité d’usage (2024, Editions Apogée).