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Libération
Le temps d'un Grand Bivouac: critique

«Rêves d’Icare» de Gérard Guerrier : des inventeurs ailés et zélés

Le Grand Bivouac, festival du film-documentaire et du livre d'Albertvilledossier
Dans son dernier ouvrage dense et superbement illustré, l’écrivain recense les pionniers des vols non motorisés, des expériences des frères Montgolfier aux wingsuits perfectionnées dans les années 90. Il sera présent ce week-end à Albertville.
Sophie Blanchard tente un vol à l'occasion du baptême de Napoléon II. Ici illustré par Jacques Onfroy de Bréville dans «Napoléon» de Georges Montorgueil, en 1921. (Leemage. AFP)
publié le 17 octobre 2023 à 23h49
(mis à jour le 18 octobre 2023 à 8h29)

«C’est à l’âge de 54 ans que le marquis de Bacqueville décide de voler de ses propres ailes afin de pouvoir se transporter librement d’un endroit de Paris à l’autre. Quand tout est fin prêt [ce 19 mars 1742], il annonce à ses amis son projet de traverser la Seine en se maintenant dans les airs. […] Il apparaît, vêtu d’un maillot noir et d’un caleçon rayé, de grandes ailes blanches fixées aux bras et aux jambes, accompagné de son valet de chambre dans le même équipage […]. Le marquis court enfin, dépasse le parapet et se lance dans le vide avant que ses ailes ne puissent le soutenir. Un “Oh !” de stupéfaction s’élève de la foule. “Il vole”, “il vole”, s’écrient certains. Le marquis est proche de la rive opposée quand un coup de vent […] le déséquilibre. Il tombe lourdement sur un bateau-lavoir d’où on le relève, une jambe brisée. Tout Paris se moque alors du malheureux Bacqueville. Et pourtant, pendant quelques secondes, il a volé.»

«Un torrent, je le rase comme un oiseau»

Gérard Guerrier, dans son dernier ouvrage Rêves d’Icare (éditions Paulsen), nous emmène sur les traces de ces merveilleux fous volants grâce à de superbes dessins ou photographies d’époque (plus de 200 illustrations). Au XVIIIe siècle toujours, voici les frères Montgolfier. «Etienne décide de frapper un grand coup : il fera voler des êtres vivants. Alors que le roi, accompagné de Marie-Antoinette et de leurs enfants, fait son apparition, un coup de canon annonce le largage des amarres. La montgolfière s’élève lentement, jusqu’à atteindre 800 mètres d’altitude avant de disparaître dans les nues. A son bord, installés dans un panier en osier, les passagers, un coq, un canard et un mouton, ne semblent montrer aucune agitation.» Quelques années plus tard ce sera au tour de Sophie Blanchard, «l’aéronaute des fêtes officielles», première femme à embrasser la carrière d’aérostier. Dans les années 1800, s’envolant de Milan, elle rallie la petite commune de Montebruno, en Ligurie, où elle se pose de nuit sur le sommet d’un chêne. Un contraste par rapport à son premier vol à Toulouse, où elle faillit subir les foudres des paysans convaincus d’avoir affaire au diable. Elle mourra das un accident de ballon.

Nous arrivons à l’époque de Jules Verne, le magnifique conteur. «Si j’ai trop chaud, je monte ; Si j’ai froid, je descends ; Une montagne, je la dépasse ; Un précipice, je le franchis ; Un fleuve, je le traverse ; Un orage, je le domine ; Un torrent, je le rase comme un oiseau.» Et puis il y a les autres, tous les autres. Décidément, ce rêve d’Icare fait des émules. Tenez ! Auguste Piccard, physicien titulaire d’une chaire à l’université de Bruxelles qui décide de s’envoler, le 27 mai 1931, à plus de 15 000 mètres afin d’étudier les rayons cosmiques. Mais il est d’autres contingences que nous révèle avec saveur l’auteur de ces lignes. «La construction d’un appareil ne présente pas de difficultés sérieuses : la seule chose qui en présente, c’est de former le premier machiniste qui devra diriger le premier appareil», écrit ainsi Ferdinand d’Esterno, inventeur au XIXe siècle d’un oiseau mécanique dans lequel devait se glisser un pilote. Enfin, arrivent les temps modernes et les frères Wright, dont le dénommé Orville qui tente de prolonger ses vols planés à bord de son planeur en utilisant la brise de mer. Le 24 octobre 1911, il bat ses précédents records avec un vol de neuf minutes et quarante-cinq secondes.

Parapentes et wingsuits

On découvrira à l’occasion aussi que le dessinateur Reiser était fan d’aviation, «persuadé que le vol libre pourrait ouvrir à tous les portes du ciel. Il décède en 1983. Sa tombe a la forme d’une aile»… Puis viennent les parapentes (que Gérard Guerrier pratiqua à un haut niveau) et d’autres objets moins conventionnels, comme celui que l’Américain Clem Sohn, dans les années 30, avec sa combinaison, «qui lui permettra de découvrir les secrets de la stabilité en chute libre». Une combinaison, souple mais lattée, qui préfigure les futurs wingsuits que Patrick de Gayardon mettra au point soixante ans plus tard. Gayardon, qui essaie «de combiner la pratique du surf et de la chute libre afin de glisser dans l’air et de réaliser des figures».

Et Gérard Guerrier de conclure, lyrique, sans doute grisé par l’air des hauteurs, «c’est bien à force de rêves, d’imagination et de courage que ces aventuriers ont permis, avec un minimum de moyens, l’éclosion puis l’essor des multiples formes de vol respectueux de la nature».

Rêves d’Icare. Pionniers et aventures du vol non motorisé, de Gérard Guerrier, éditions Paulsen, 240 pp., 37 euros.