Scandales sanitaires, crises climatiques, politiques de santé…, le Campus Condorcet organise le 21, 22 et 23 mars 2024 trois jours de débats et de rencontres sur le thème du «prendre soin». En attendant l’événement, dont Libération est partenaire, nous publierons sur ce site interviews, reportages et enquêtes sur les thématiques du forum. A suivre le 22 mars, la conférence sur la place des citoyens dans les politiques et les pratiques du «prendre soin».
Olivier Maurel, consultant chercheur indépendant, travaille sur les thématiques de stratégie, gouvernance et management socialement responsable. Il a publié en 2021 Une histoire de la lutte contre le sida aux éditions Nouveau Monde. Il s’interroge sur la place des citoyens dans les questions de santé et la pratique des soins.
«Aujourd’hui, de nouvelles pathologies sont désormais reconnues comme des enjeux de santé importants. L’endométriose par exemple, longtemps ignorée, est devenue un problème pris en charge par les femmes qui se sont mobilisées pour qu’on traite enfin de cette question. De plus en plus de personnes concernées par un problème de santé font maintenant pression pour faire des recherches épidémiologiques qui mesurent la prévalence d’une pathologie et les conséquences sur le vécu des patients. Il s’agit aussi de mieux prendre en compte qu’on appelle les «déterminants de santé» (socio-économiques, environnementaux, politiques, biographiques etc) pour faire de la prévention ou assurer des soins de qualité.
Parler de démocratie en santé, c’est notamment prêter attention aux questions soulevées par les acteurs de terrain et les patients eux-mêmes. Sur la question des pathologies cancéreuses et du lien avec l’utilisation des pesticides. Comment fait-on écho à ce que disent les gens ? Comment la pneumologue Irène Frachon est-elle devenue une lanceuse d’alerte dans le milieu professionnel avec le Médiator. De quelle façon laisse-t-on les personnes touchées exprimer ce qu’elles vivent ? Des associations effectuent ainsi elles-mêmes leurs propres recherches. A Marseille par exemple, des riverains se sont mobilisés sur le dossier des paquebots polluant l’air (pour pouvoir avoir de l’électricité, ils laissent continuellement tourner leurs moteurs) où des quartiers entiers se sont retrouvés avec des problèmes respiratoires.
Dans la recherche, il s’agit d’intégrer les patients dans les protocoles par exemple. La lutte contre le sida l’a montré : pour les stratégies médicamenteuses, les patients ont été associés via l’ARS. Le professeur Jean-François Delfraissy (aujourd’hui président du Comité consultatif national d’éthique) a encouragé la pratique de la démocratie en santé en permettant aux associations de suivre les recherches, d’élargir les protocoles compassionnels parce que les malades du sida mouraient vite… Aides et Act Up, accompagnés par des praticiens ouverts à cette perspective ont eu un rôle déterminant et ont convaincu les pouvoirs publics.
Aujourd’hui, on voit ce qui se joue sur de nombreuses questions environnementales, même si elles sont souvent une question de rapports de force, comme avec la chlordécone dans les Antilles (pesticide cancérigène utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et Martinique). Sa reconnaissance a été compliquée. Il y a aussi la montée des accidents du travail ou encore les risques psychosociaux (encore moins pris en compte que la pénibilité physique dans la réforme des retraites).
Dernier exemple d’une démocratie en santé insuffisante : pendant la crise de la Covid, les décisions étaient centralisées. Lors de la phase initiale de l’urgence, le pouvoir politique a pris seul ses responsabilités et expliqué pourquoi il le faisait. En revanche, à la fin du confinement, on n’a pas laissé localement les gens prendre part aux décisions. On ne s’est pas appuyé sur des organisations proches des populations qui auraient permis de trouver des solutions adaptées aux risques et réalités de terrain.
A travers ces quelques exemples, on voit que la santé est un enjeu de démocratie. Cela interroge notre conception de la politique dans la société. On a souvent une vision verticale ; avec le «sachant», celui qui a la connaissance, et le patient, celui qui souffre. Il faut accepter l’idée que nous vivons dans une société où l’on ne sait pas tout et où le travail collectif participe à la bonne marche de la santé en général. Comment valorise-t-on cette intelligence collective ? De quelle façon libère-t-on l’écoute et pas seulement la parole ?
Regardons la conférence citoyenne sur le climat, très peu a été finalement repris des travaux effectués. Il est pourtant essentiel que les citoyens soient partie prenante de la délibération. »