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LibéCARE: débats

Santé mentale : comment vont les enfants ?

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Sur leurs épaules fragiles, un monde qui s’écroule. Les enfants et les adolescents de 2023 ne vont pas très bien. Comment les accompagner au mieux ? C’était l’objectif d’une table ronde passionnante, qui a animé la dernière journée du LibéCARE, samedi 2 décembre.
De nombreux jeunes sont touchés par l'éco-anxiété. (Carlo107/Getty Images)
publié le 4 décembre 2023 à 21h41
Innovation, changement climatique, intelligence artificielle, éco-anxiété : comment mieux réparer sa santé ? C’était le thème des rendez-vous de Rouen et Caen les 30 novembre, 1er et 2 décembre au MoHo, avec le LibéCARE.

Quand Robin arrive dans le cabinet de son psy, il en a gros sur le cœur. Harcèlement scolaire, grossophobie, parents qui divorcent, Covid-19 : le jeune garçon a 11 ans, mais les angoisses d’un adulte surmené. Robin est un personnage de fiction, l’adolescent de la deuxième saison d’En thérapie, la série événement d’Arte. C’est la scénariste Clémence Madeleine-Perdrillat qui a écrit ce personnage. «Le mal-être adolescent est un sujet fondamental, et il reste encore un gros travail de déconstruction à faire sur la psychanalyse, nous dit-elle. Encore trop de personnes pensent qu’aller voir un pédopsy, c’est confier [l’enfant] à une institution du type Vol au-dessus d’un nid de coucou

Cet après-midi du samedi 2 décembre, dans le cadre de LibéCARE, c’est une table ronde très touchante qui a animé l’amphithéâtre du tiers-lieu caennais, le MoHo. Pour évoquer le mal-être adolescent et la façon de mieux l’identifier et l’accompagner, un casting peu ordinaire. Auprès de Clémence Madeleine-Perdrillat, Isabelle Carré, comédienne et autrice, l’humoriste Mamari, et le psychiatre et chef de service à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, Antoine Pelissolo. Dans l’assemblée, quelques jeunes, plusieurs parents et beaucoup de têtes chenues. Mais peu importe : le bien-être des enfants est le pouls de la société, comme le rappelle Isabelle Carré.

Eco-anxieté et «stress prétraumatique»

Antoine Pelissolo, qui a corédigé avec Célie Massini le livre les Emotions du dérèglement climatique (Flammarion), en est certain : le noir prend de plus en plus de place dans le cerveau des jeunes. «En observant le monde depuis ma position de médecin, je constate que le dérèglement du monde mène au dérèglement des personnes. Les jeunes se développent dans un monde sans avenir, avec des changements qui deviennent patents. Nous sommes passés en peu de temps du règne de l’inquiétude à celui de la peur, qui s’accompagne d’autres émotions : la colère, le ressentiment, l’impuissance.» Le terme éco-anxiété est entré dans le Petit Robert cette année, mais le médecin – qui tient à ne «pas tout psychiatriser non plus» – a un autre mot en tête pour qualifier le mal-être des ados, qui dépasse selon lui la question écologique : «C’est le stress prétraumatique, le fait de vivre avec une épée de Damoclès.»

Un constat partagé par Isabelle Carré. «On met beaucoup de responsabilité sur le dos [des ados] : ils héritent d’un monde en ruine, et nous leur disons que la solution viendra d’eux, et d’eux seuls», soutient-elle. La comédienne a mené des ateliers d’écriture dans le Pays basque, à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) et à la Maison de Solenn, une structure de pédopsychiatrie à Paris. «Je leur avais donné pour thème “le monde de demain”, et 100% d’entre eux imaginaient une dictature en 2085.» Isabelle Carré profite de la table ronde pour lire un texte à l’assemblée, une dystopie très dure où tout le monde est déconnecté les uns des autres, et où «on se contente de rester en vie». Lors de la lecture publique des textes écrits par les jeunes, les parents étaient effarés. «Ils pensaient que j’avais donné un thème poussant à cette noirceur, alors que non», relate la comédienne.

Une prise en charge encore trop difficile

Dans son roman les Rêveurs, paru en 2018 chez Grasset, Isabelle Carré évoque son séjour en hôpital psychiatrique, lorsqu’elle était enfant. Autant dire que la santé mentale des ados lui importe. Désormais, elle s’attelle à décrocher des financements pour son projet, comme réalisatrice, d’un film mettant en parallèle la réalité d’alors à celle d’aujourd’hui. «La situation a complètement changé. A l’époque, nous étions enfermés, sans contact avec nos familles, sans activités proposées… J’ai rencontré [la professeure et pédopsychiatre] Marie Rose Moro, de la Maison de Solenn, qui me disait : “Désormais, on sait comment s’occuper du mal-être adolescent, mais on n’a pas de moyens… Qu’est-ce qu’une société qui dit à ses jeunes qui font des tentatives de suicide de revenir dans six mois ?”»

Une réalité que la comédienne de stand-up Mamari, qui s’est inspirée de son vécu pour son spectacle Trop drôle pour mourir, connaît bien. «Je me suis souvent sentie seule dans mon adolescence et, bizarrement, mon hospitalisation avait quelque chose d’enchanteur.» La comédienne profite de la table ronde pour revenir sur le parcours du combattant qu’elle a dû accomplir pour obtenir toute l’aide dont elle avait besoin, et évoque l’association de pair-aidance la Maison perchée, où les jeunes atteints de schizophrénie, de bipolarité ou d’autres pathologies mentales s’entraident les uns les autres.