C’est l’histoire d’un type qui passe «son guide», le brevet qui va lui permettre d’accompagner les autres sur les rivages escarpés de la montagne. Alex vit chez un vieux guide, Georges, et décide de tracer une nouvelle voie pour son amoureuse, qu’il baptisera de son prénom. «Equiper une nouvelle voie, c’est trouver la solution d’une énigme […] J’ai passé des heures assis au pied de cette face à dessiner dans ma tête les mouvements correspondant à la physionomie de Saskia. Cela ressemble à l’évolution d’un alpiniste au milieu des menaces occultes d’un glacier, écouter la voix secrète de la montagne, ses murmures d’instinct.»
Bien entendu, pour faire un bon roman, il faut un brin compliquer les choses. Un carnet en cuir retrouvé fera figure de style, contenant des informations exclusives sur une cordée qui a atteint le sommet de l’Everest et que personne, sauf son auteur, n’a jamais lu. Carnet qui détaille également la supercherie d’un guide, qui a convaincu tout le monde qu’il avait fait une première, alors que vingt-trois ans avant lui, un autre l’avait réalisé. «Ce carnet est une bombe, je ne veux plus le lâcher […] Comment va réagir Saskia quand elle saura que son père a été devancé de plus de vingt ans ?»
Une dystopie angoissante
Un mensonge originel, s’il est dévoilé, qui ferait dégringoler des réputations de leur piédestal. Guillaume Desmurs – journaliste, écrivain, éditeur — connaît bien l’univers des montagnes et il nous entraîne avec lui dans les grandes et petites mesquineries des bonshommes qui en ont fait leur métier. Des montagnes, toujours plus grandes qu’eux, et sans doute, à l’abri de leurs mesquineries. «S’il savait ce que je sais. S’il savait qu’Irvine avait vaincu l’Everest en 1924 et était redescendu vivant. S’il savait qu’à tout moment je peux lui fermer sa gueule de prof de l’ENSA. S’il savait que je baise sa copine. Je remets dans le sac mes crampons, ma corde, mes moufles, mon masque, tout le reste et m’en vais. Avec ce que je sais, je ne peux plus supporter cette mascarade plus longtemps.»
Et puis il y a la suite. 2039, la vallée de Chamonix, transformée en cauchemar dans une dystopie angoissante. «Nous contournons un arbre recouvert de mousse noire et pourtant encore debout… Son tronc ressemble à du caoutchouc […] L’air toxique attaque le métal… Le métal devient du papier… C’est la zone de la mort […] là où la rareté de l’oxygène dégrade inévitablement les organismes. Déguerpir […] Le brouillard venimeux détrempe tout. Une mélasse gluante ralentissant notre progression. Le bruit de succion de nos semelles à chaque pas. Du goudron liquide sous les capots morts des voitures.»
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Guillaume Desmurs, par ailleurs fin analyste du modèle économique des stations de sports d’hiver confrontées au réchauffement climatique, craint pour la vallée, ce qu’elle pourrait devenir. On sent aussi qu’il l’aime et qu’il se moque des hommes qui la salissent ou ne la méritent pas. Le livre commence par une citation de Romain Gary : «Les “grimpeurs” ne trouvaient rien de plus délicieux que de se balader au bout d’une corde, pour se sentir vraiment libres.»
Avec ce beau roman, il nous conseille de tourner la tête pour entrevoir cette liberté et comprendre qu’il nous faudrait peut-être bouleverser l’ordre de nos priorités. Lisez donc un peu ce Desmurs, pour changer le regard porté sur la montagne, le soir, au crépuscule.