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Services publics : nous n’avons pas le droit à la paresse !

Par Emilie Agnoux, autrice et cofondatrice du think tank «le Sens du service public».
Unité d'imagerie médicale de l'hôpital Saint Camille, à Bry-sur-Marne, en 2023. (Aline Morcillo/Hans Lucas. AFP)
par Emilie Agnoux, autrice et cofondatrice du think tank Le Sens du Service Public
publié le 28 juin 2025 à 18h00

Initiative citoyenne, le Festival des Idées organise, du 4 au 6 juillet à la Charité-sur-Loire, plus de 30 rendez-vous pour débattre des défis culturels et politiques de demain. Un événement dont Libération est partenaire.

Quand on parle de services publics, on croit déjà avoir tout dit sur le sujet, et en même temps nous ne sommes même plus certains de savoir de quoi on parle, quel périmètre ils recouvrent, quel projet de société ils servent. Le signal d’alerte a pourtant été tiré à de très nombreuses reprises. Mais y croit-on encore ?

Les besoins sociaux sont exponentiels, les dépenses publiques sont jugées excessives, le consentement fiscal a été entamé, et personne ne semble aujourd’hui prêt à faire d’effort pour résorber le déséquilibre budgétaire créé de toutes pièces par des années de populisme fiscal ayant conduit à priver nos finances publiques de plus de 60 milliards d’euros par an d’après la Cour des comptes (chiffres 2023).

Le malaise est profond, la situation est complexe, mais elle était prévisible. Une récente enquête dévoile que 76 % des ruraux considèrent que les campagnes donnent plus d’argent à l’Etat qu’elles n’en reçoivent. Comment s’en étonner quand l’Etat a pendant longtemps mis davantage la priorité sur la rationalisation de l’action publique que sur sa démocratisation, sur l’ensemble du territoire, et en particulier à certains endroits.

Pas de solution miracle

Le sentiment d’injustice qui est exprimé par un grand nombre de Françaises et de Français nous rappelle que les services publics remplissent un rôle social, économique, émancipateur, identitaire et symbolique. L’éloignement et la déshumanisation ont un coût politique. Nous devons y répondre par une politique de l’attention, de la reconnaissance et de l’empathie institutionnelles, qui s’incarnent dans une refondation profonde de l’action publique. A l’ère de l’urgence écologique et de la diffusion rapide de l’IA, nous changeons également de référentiels. La paresse intellectuelle n’est pas de mise.

Il n’y aura pas de solution miracle, et pas de solution par l’Etat seul. Nous devons bien sûr retrouver des marges de manœuvre fiscales, déplacer une partie de la dépense publique. La période que nous vivons peut aussi paradoxalement nous permettre de tirer quelques enseignements et de réinventer un nouveau modèle, hybride, qui s’appuierait sur deux piliers : la démocratisation et la décentralisation.

La situation actuelle est celle d’un Etat devenu largement impuissant, qui veut encore agir sur et décider de tout, tout en empêchant d’autres acteurs de faire.

Nouveau souffle

La convention citoyenne sur les temps de l’enfant nous rappelle que la réussite et l’émancipation des jeunes ne sont pas que l’affaire de l’Education nationale, mais aussi des collectivités locales, des associations, des parents et plus largement des entourages. Cela n’enlève rien de l’urgence de revaloriser la communauté éducative dans son ensemble, et de garantir une formation et un accompagnement robustes à l’ensemble des professionnels qui interviennent dans les établissements. Mais il faut aussi pouvoir organiser cette mobilisation collective et mettre chacun en capacité d’agir à son échelle.

De la même manière, notre système de santé est aujourd’hui à bout de souffle. La ligne de démarcation entre hôpital et médecine de ville, la dépendance à des acteurs privés, l’approche essentiellement curative doivent être interrogés. Au moment où des collectivités locales se saisissent des enjeux de santé à bras-le-corps, où des «médecins solidaires» favorisent la continuité médicale sur des territoires désertés, et où nous prenons la mesure des déterminants de santé (environnement, logement, alimentation…), il est venu le temps de penser la démocratisation et la décentralisation des politiques sanitaires, dans un cadre régulé par la puissance publique nationale.

En 2026, le nouveau souffle pourrait partir du bloc local, qui bénéficie du meilleur niveau de confiance, mais qui est toujours aussi défié par l’échelon national. Et si on commençait par changer de posture ?

Emilie Agnoux est l’autrice de Puissance publique contre les démolisseurs d’Etat (l’Aube, Fondation Jean-Jaurès, 2025)