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Le Printemps des Humanités

Sésame, ouvre ton toit

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A Herzeele, dans le nord de la France, la responsable de la communauté Emmaüs locale a transformé sa grande maison familiale en lieu de répit pour les migrants de passage.
La maison Sésame accueille des exilés, souvent des familles ou des femmes enceintes, qui ne restent que quelques semaines. (Margot Bricout/Maison Sésame)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 19 mars 2024 à 5h26
Scandales sanitaires, crises climatiques, politiques de santé…, le Campus Condorcet organise le 21, 22 et 23 mars 2024 trois jours de débats et de rencontres sur le thème du «prendre soin». En attendant l’événement, dont Libération est partenaire, nous publierons sur ce site interviews, reportages et enquêtes sur les thématiques du forum. A suivre le 22 mars, la conférence sur la place des citoyens dans les politiques et les pratiques du «prendre soin».

Un camion rouge, un petit garçon dans un salon ensoleillé qui s’amuse à le faire rouler. Son père le surveille, attentif. Dans la cuisine, sa mère s’affaire au repas, soupe de poulet et semoule, qui sera bientôt partagé par tous. Dans la grande demeure bourgeoise, où la tapisserie vert bouteille du salon, rideaux assortis, côtoie des kilims accrochés aux murs, la vie quotidienne est paisible, et c’est un plaisir à savourer pour cette famille soudanaise. Bientôt, sans doute, elle tentera le passage vers l’Angleterre…

La Maison Sésame, à Herzeele, un village dans le nord de la France, est un lieu de répit, à la campagne, loin des passeurs et de la précarité des campements. Quinze places, une salariée, et une rotation de bénévoles pour accueillir les exilés, qui ne restent que quelques semaines, le temps de reprendre leur souffle. Souvent des familles, parfois des gens malades ou des femmes enceintes sur le point d’accoucher. Dans le jardin, Olivier, 53 ans, sécateur en main, prend soin des rosiers : bénévole, il vient d’arriver. Travailleur social, il s’intéresse aux projets alternatifs d’accueil. «Soit tu demandes l’asile en France et tu es hébergé ; soit tu es de passage, et tu es refusé de partout», résume-t-il. Deux bébés sont nés récemment à la Maison Sésame, et c’est une joie. Ce jeudi après-midi, les résidents et les bénévoles se préparent pour aller rendre un dernier hommage à la petite fille de sept ans, décédée dans un naufrage sur le canal de l’Aa, à Watten, pas loin de chez eux, le 3 mars. Sylvie Desjonquères, la fondatrice de la Maison Sésame, avait prévenu : l’ambiance ne sera pas aussi légère que d’habitude.

La Maison est née en mars 2019, deux ans après l’incendie du camp de la Linière, à Grande-Synthe, qui hébergeait dans des cabanes les exilés en partance pour la Grande-Bretagne. A l’époque, Sylvie Desjonquères est la responsable de la communauté Emmaüs locale, plus de vingt ans d’accompagnement dans les jungles du Dunkerquois au compteur : «Après l’incendie, j’avais vraiment une fatigue mentale, morale, à voir que rien ne bougeait. C’était même le contraire, avec un grand nombre de démantèlements de campements», se souvient-elle. Au même moment, sa mère part en maison de retraite, et la grande maison familiale reste vide. Elle décide d’y ouvrir un lieu, une forme de «résistance pacifique», sourit-elle. «Nous avons trois objectifs : donner un toit, du pain, et un peu d’humanité ; créer des rencontres entre toutes les personnes qui viennent ici et les gens du village ; enfin calmer notre colère.» Le village, un peu méfiant au début, a accepté cette maison singulière. Le téléphone sonne souvent, pour proposer des poireaux, ou des patates, et la porte grande ouverte sur le jardin est souvent franchie par ceux qui amènent des fleurs, des gâteaux, des vêtements. Preuve de cette intégration, le coup de fil du garagiste : «Il m’a demandé, est-ce que vous accueillez des Français ? Il avait le cas d’un homme qui dormait dans sa voiture. J’ai dit, oui, banco !» En face de la demeure, un voisin balaie son trottoir. L’été, dit-il, il entend les enfants jouer dans le jardin. «Ça ne me dérange pas du tout, on reste humain», sourit-il. «Ces gens, ils connaissent la misère, et ils revivent un peu ici.»