Menu
Libération
Documentaire et livre

Nanga Parbat, dernier 8 000

Une saison à la montagnedossier
Le réalisateur François Damilano a accompagné l’alpiniste Sophie Lavaud lors de l’ascension de son quatorzième sommet de plus de 8 000 mètres. Il en a tiré un livre et un beau documentaire, «Sophie Lavaud, le dernier Sommet». Ils étaient tous les deux étaient présents ce week-end au Grand Bivouac.
L'alpiniste franco-suisse a gravi les quatorze sommets de plus de 8000 mètres. (François Damilano DR)
publié le 23 mai 2024 à 10h01
(mis à jour le 21 octobre 2024 à 9h57)

Rencontres, documentaires, portraits… L’actualité du festival annuel du voyage et de l’aventure, le Grand Bivouac d’Albertville (du 14 au 20 octobre) dont Libération est partenaire.$

Il y a un an, en atteignant le sommet du Nanga Parbat (neuvième plus haute montagne du monde), Sophie Lavaud venait à bout de son défi : gravir les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres du globe ; un grand chelem himalayen commencé il y a plus de dix ans. La Franco-Suisse et Canadienne de 55 ans entrait alors dans un club très fermé : aujourd’hui seuls une quarantaine d’alpinistes (dont trois femmes) ont atteint les quatorze sommets. Un challenge inauguré par Reinhold Messner en 1986, qui a coûté la vie aux plus grands de la discipline – Maurice et Liliane Barrard, Benoît Chamoux, Pierre Beghin, Chantal Mauduit, Eric Escoffier, Jean-Christophe Lafaille… Un documentaire de François Damilano retrace cette étonnante aventure (1) qui fait également l’objet d’un livre : Les quatorze 8 000 de Sophie Lavaud).

«Je ne suis pas issue du sérail, du milieu des performeurs de haute altitude. Je ne revendique pas de performance. J’avance à ma façon. Dans cette quête des sommets. C’est tout». Comme Sophie Lavaud, on évacuera les polémiques sur les expéditions commerciales et le business des cimes (1) . Oui, gravir des sommets avec des sherpas pour équiper les voies, de l’oxygène, et d’importants moyens logistiques est loin des exploits des pionniers de l’Himalayisme. Oui, onze ans, c’est bien long quand on pense au record de trois mois et un jour avalé l’année dernière par la norvégienne Kristin Harila et Tenjin Sherpa ; le record précédent étant détenu par le Népalo-britannique Nirmal Purja qui avait réalisé les quatorze ascensions en seulement 6 mois et 6 jours. Le sherpa en avait tiré un film à grand succès, effaçant la lointaine performance de l’alpiniste polonais Jerzy Kukuczka qui avait bouclé le défi en près de 8 ans.

Le documentaire ne prétend pas autre chose. Alpiniste, guide de haute montagne, éditeur et réalisateur du documentaire, François Damilano a rencontré Sophie lors d’une de ses premières ascensions et s’est avant tout intéressée à la personnalité attachante et aux motivations de cette alpiniste amatrice atypique. Il l’a ensuite suivie sur plusieurs sommets, réalisant en 2014 un premier documentaire «On va marcher sur l’Everest» puis trois ans plus tard «K2, une journée particulière», une expédition par ailleurs chroniquée en direct pour Libération (à retrouver dans ce dossier web).

Ce troisième opus retrace donc la dernière ascension de Sophie Lavaud et revient sur ces dix années au «pays de l’air rare». Du premier sommet grimpé sans arrière-pensée à cette idée un peu folle : tenter les quatorze 8 000 sans expérience ; en passant par les rencontres, les peurs, les doutes, les joies et le froid, l’émotion et les échecs (il lui aura fallu 24 expéditions pour boucler son circuit). Avec toujours, chevillée au corps, cette modestie sincère et cette détermination et persévérance sans faille. «Moi, je doute souvent de mes capacités, je pense que je ne suis pas très forte, pas très douée… Il faut que je mette beaucoup d’énergie pour réussir. Heureusement, j’ai une mémoire qui a la capacité d’effacer rapidement toutes les difficultés, toutes les souffrances, pour ne garder que les bons souvenirs…»

Stratégies, météo, attente, collaboration (avec entre autres Kristin Harila également présente sur le Nanga) ; coup de mou et de blues - «Quand je regarde cette façade, j’ai juste envie de faire demi-tour et de partir en courant»-, énervement à l’occasion - «Putain, vous pouvez pas m’aider au lieu de filmer… c’est pas cool !», «Ça me stresse là, barre-toi avec ta caméra»… Un beau documentaire au plus près de son héroïne et des sherpas - «Sans eux, pas de sommet», confirme François —, jusqu’à l’ascension finale, ce «summit push» de 24 heures non-stop (pour plus de 1 300 mètres de dénivelé) alors que les nuages montent et que le vent se lève…

«Plus que cent mètres. Le paysage est un mirage. Un monde qui nous dissout. Chaque respiration coupée par le manque d’oxygène, Chacun replié en soi, affolé par les battements du cœur, juste poussé par l’obsession d’aller au bout… Et le sommet, soudain, comme par effraction.»

(1) Sophie Lavaud. Le dernier Sommet. Un film de François Damilano, 90mn. Images François Damilano et Ulysse Lefebvre.