Le 22 mars 2022, Libération et l’ONG ONE organisent une journée spéciale pour interpeller les candidats à la présidentielle sur le retour de l’extrême pauvreté partout sur la planète et ses conséquences sur les grands défis qui nous attendent. Au programme : réchauffement climatique, poids de la dette, aide publique au développement, sécurité alimentaire… Rendez-vous au Théâtre du Rond-Point dès 9 heures. Un cahier spécial de 20 pages accompagnera cet événement, dans l’édition de Libération du 22 mars. Retrouvez dans ce dossier ces articles.
En 2013, Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU, liait pauvreté paysanne et instabilité politique en Afrique de l’Ouest et lançait un appel pour la relance d’un développement agricole durable et son indépendance alimentaire. Neuf ans plus tard, c’est l’avenir du Sahel et de l’Afrique presque entière qui est en cause.
Après soixante ans d’abandon «structurel», les paysans et les paysannes de nos pays, généralement parmi les moins bien équipés du monde, y sont toujours livrés sans protection commerciale et sans appui réel à la concurrence des agriculteurs «chimisés» et motorisés les plus compétitifs du monde, eux soutenus, subventionnés et opportunément protégés.
Ainsi, «la sécurité alimentaire» des pays pauvres (agricoles !) s’est bâtie sur les excédents agricoles de l’OCDE et de la PAC pendant que les productions «tropicales» promues au sud entraient dans une concurrence insoutenable. Les paysanneries africaines ont payé au prix fort la priorité politique donnée à l’alimentation des villes à bas coûts, le fameux «biais urbain». Appauvries, décapitalisées, mais encore majoritaires, elles sont en outre les premières victimes de dérèglements climatiques tout aussi importés.
Aujourd’hui les villes africaines suffoquent de précarité et de chômage et ne sauraient accueillir un milliard de femmes et d’hommes de plus d’ici 2050. Et «les périphéries», aux mêmes aspirations de vie, ne sauraient plus sans ressentiment être négligées et mises à l’écart des droits essentiels. L’extension des cultures sur la forêt n’est pourtant plus une option. Pas plus que la dégradation biologique accélérée et les conflits fonciers que supposent une population paysanne paupérisée en forte croissance et le modèle trop étroit d’un agrobusiness énergivore, extraverti et prédateur. Un chemin double est à prendre.
D’une part, il conviendra de payer les productions des paysans africains à des prix rémunérateurs, assez élevés et assez stables, pour leur permettre de vivre dignement de leur travail. Cela voudra dire leur assurer la protection commerciale nécessaire (les droits de douane sont aujourd’hui insignifiants) tout en accompagnant socialement l’accès des citadins pauvres à une alimentation abordable.
D’autre part, seul un investissement public massif direct (formation, crédit agricole, santé) et une intensification agroécologique permettront à l’agriculture familiale de se nourrir et de nourrir les villes avec la résistance climatique indispensable. Ainsi seraient rémunérés ses services écosystémiques au monde (forêts et sols préservés, climat, stockage de carbone), atténuation comme adaptation.
Paix et stabilité, éradication de la faim et de la misère, accès aux droits, emploi, et protection, durabilité et résilience climatique des agricultures paysannes, n’ont-ils pas partie commune ? N’est-ce pas, si tous y contribuent à grande échelle, l’apport capital possible de l’Afrique au climat, à la biodiversité et à la paix mondiale ? C’est une priorité de CAP 2025, la feuille de route de l’UEMOA.
Sinon, les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU à l’horizon 2 030 (ODD 1 : Pas de Pauvreté, ODD 2 : Faim zéro) ne seraient-ils que vœux pieux ?