Libération, partenaire du nouveau cycle de conférences organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews ou tribunes sur les sujets abordés. A suivre, le 27 avril, le débat «A l’écoute du vivant, le nouveau paradigme» avec Laurent Tillon et Jérôme Sueur.
Jérôme Sueur se souvient d’une émission de radio au cours de laquelle un philosophe louait l’écoute du chant des oiseaux. Une activité formidable pour le repos, jugeait-il. La détente serait assurée grâce à des sons n’ayant aucune signification, n’étant chargés d’aucune information... Le scientifique, spécialisé dans l’écoute des espaces et notamment des forêts, n’en croit pas ses oreilles : «Ce n’est pas parce qu’on ne les comprend pas, que nous n’en connaissons pas les codes, qu’ils ne sont pas porteurs d’informations.»
Car les sons du vivant, et en particulier des animaux, ont une multitude de fonctions : indiquer une localisation, exprimer qu’ils sont prêts à se reproduire, interagir entre espèces, ou bien encore communiquer en échangeant des détails sur leur identité. «Chaque chant d’oiseau est propre à un individu : la structure, le rythme, etc., indiquent non seulement l’espèce mais aussi l’individualité. C’est une signature», détaille Jérôme Sueur.
Les chauves-souris utilisent quant à elles un système sophistiqué appelé écholocation, qui leur permet d’analyser leur environnement et de trouver des proies. Lorsqu’elles émettent un cri, ce son va être renvoyé par les objets alentour sous forme d’écho. Elles reçoivent alors une image circonstanciée de la chose repérée : la taille, la distance, et si elle est consommable. Des renseignements essentiels à la survie en somme.
Dialogue
Laurent Tillon, lui, s’est longtemps concentré sur une observation fonctionnelle des sons produits par les chiroptères, les insectes ou encore les amphibiens. En tombant sur une question soulevée par la philosophe Vinciane Despret, dans son livre Habiter en oiseau, son regard évolue. «Et si les oiseaux chantaient pour dire au monde qu’ils existent ?» se demande-t-elle. Le biologiste s’interroge alors : «Derrière chaque cri, n’y aurait-il pas à la fois, une nécessité, mais aussi une forme d’envie d’exprimer et de partager son existence dans le monde avec les autres vivants capables de l’écouter ?» Il cherche désormais à interpréter ce que les animaux lui confient, ces «séquences acoustiques qui racontent une histoire» comme autant de chroniques des individus dont il capte les morceaux de vie.
Procéder à des enregistrements minutieux et réguliers permet de tirer des enseignements sur un milieu, et donne une idée du niveau de biodiversité. Les deux chercheurs s’attellent bientôt à un projet de grande ampleur, celui de l’écoute d’une centaine de forêts. Une sorte d’inventaire indirect pour poser un diagnostic. «Plus il y a d’espèces et plus nous pouvons dire que la forêt se porte bien», résume l’éco-acousticien. Tandis que son confrère ajoute : «Je spécule que plus les cycles naturels sont respectés plus on entendra, le vent, les arbres parler, c’est-à-dire les feuilles qui bruissent et les petites torsions du bois, et tous les autres vivants.»
Si les êtres humains ont tendance à valoriser le calme de la nature, celle-ci n’est jamais totalement silencieuse et, surtout, ne devrait pas l’être. La variété des sons étant un indicateur de la présence des espèces, le plus caractéristique de la mauvaise santé d’un territoire est son absence. Elle doit inquiéter. La disparition sonore révèle celle de la faune, que chacun peut expérimenter à son niveau. Pour les deux scientifiques, elle est même plus facile à appréhender pour le grand public que la disparition visuelle. Il suffit de fermer les yeux pour entendre la vie, cet autre monde qui fourmille autour de nous. «Je n’entends plus les oiseaux, je n’entends plus les insectes, les grillons», rapportent simplement les non-experts.
Ce travail d’écoute sert donc d’alerte pour détecter de nouveaux silences ou des déséquilibres qui vont témoigner de la domination d’un groupe. Reste un bruit dont la diminution serait bénéfique. Un bruit qui perturbe la communication et désoriente les animaux. Celui causé par l’activité humaine, véritable pollution pour le reste du vivant.