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Voyage en terres d'ethnologie: rencontre

Tourisme chamanique : «Des personnes athées disent avoir rencontré des esprits»

Voyage en terres d'ethnologie avec le Quai Branlydossier
L’anthropologue David Dupuis a enquêté sur les pratiques rituelles inspirées du chamanisme amazonien.
Œuvre issue de l'exposition «Visions chamaniques» : Robert Venosa, «Ayahuasca Dream» (1994) (Collection Martina Hoffmann)
publié le 31 janvier 2024 à 17h33
(mis à jour le 26 février 2024 à 10h25)
Les samedi 2 et dimanche 3 mars, le musée du quai Branly - Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre !» sur le thème du corps. Partenaire de l’événement, «Libération» publiera le lundi 26 février un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.

Soigner son burn-out par une diète hallucinogène dans la jungle ? L’anthropologue David Dupuis revient sur ces Occidentaux qui partent en Amazonie à la rencontre d’eux-mêmes et des guérisseurs.

Comment êtes-vous arrivé à ce sujet d’étude ?

Pendant mes études de philosophie, j’ai commencé à m’intéresser au tourisme chamanique. C’étaient les années 2000 et on entendait parler de l’ayahuasca [préparation hallucinogène originaire d’Amérique du Sud, ndlr] sur les terrasses des cafés et dans les soirées parisiennes. Ça devenait un phénomène de société. Ce qui me frappait alors dans les récits des gens souvent athées qui en revenaient, c’est qu’ils disaient avoir rencontré des esprits de plantes, des ancêtres, des personnes mortes, des anges… Ils décrivaient des rencontres avec des êtres surnaturels, qui avaient été chassés de notre modernité. Je suis parti effectuer mon premier terrain en 2008, dans la région de San Martin, en Amazonie péruvienne. J’ai enquêté au sein d’un des «centres chamaniques» qui étaient apparus pour répondre à cet afflux de voyageurs. Ces derniers proposent de participer à des pratiques rituelles inspirées du chamanisme amazonien. Je travaillais donc sur un objet hybride : les Occidentaux se rendant en Amazonie pour aller à la rencontre de guérisseurs indigènes.

Quel type de personne se rend là-bas ?

Ce sont majoritairement des urbains d’Europe de l’Ouest de tout âge, issus de la classe moyenne et supérieure. Le plus souvent, ils cherchent à se soigner ou à régler quelque chose qu’ils n’ont pas réussi à résoudre chez eux : un deuil, une addiction, une dépression. Généralement, ils n’apprécient pas ce terme de «touriste». C’est un long voyage, coûteux, longuement préparé. Ce n’est pas qu’une partie de plaisir. Il existe la plupart du temps une motivation spirituelle chez ces personnes. Enfin, une raison est fréquemment avancée, plus politique. Face à une société occidentale dont le modèle et ses conséquences environnementales sont perçus en crise, ils viennent apprendre des populations animistes une autre manière d’entrer en relation avec les non-humains.

Quelles différences trouve-t-on dans l’approche chamanique entre les sociétés amazoniennes et celles occidentales ?

Les Occidentaux investissent ces pratiques comme une médecine et une psychothérapie, une façon de mieux se connaître. Chez les autochtones, l’ayahuasca est moins mobilisée pour se connaître soi-même que pour tisser des relations avec des êtres habituellement invisibles. Par exemple les esprits du gibier, afin d’assurer une chasse prolifique. Les usages traditionnels sont très variés et ne se réduisent pas au soin. Néanmoins, les chamanes, grands spécialistes de l’interculturalité, se sont très bien adaptés à ces nouvelles demandes. A présent, nombre d’entre eux affirment soigner le burn-out ou la dépression !

L’exposition «Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne», dont David Dupuis est commissaire, est à visiter au Musée du Quai Branly jusqu’au 26 mai 2024 à Paris.