Ils sont partis le 14 septembre de Moncheaux, dans la banlieue de Lille, direction le cap d’Agde, à bord de 4L et de 2CV d’époque, mais adaptés à leur handicap. La Trans-France Handicap, premier rallye du genre, a une volonté : montrer que les personnes handicapées, en fauteuil roulant ou avec une mobilité réduite, savent conduire.
Bouffer du bitume, des départementales de campagne, un bonheur pour Humberto Da Silva, 52 ans, qui a une prothèse de hanche, des opérations à répétition, et une malformation de naissance de la main droite. Sa main, il l’a tatouée : «Quand on me demande ce que j’ai, je réponds “un tatouage”», se marre-t-il dans sa barbe. Il reconnaît un brin de provocation. Il a adoré la traversée du Massif central, et les gorges du Tarn, même s’il a fallu un peu martyriser les reprises de la deudeuche. «On s’est fait remarquer dans toute la France, et ça fait du bien au moral, de respirer un peu», souligne-t-il.
L’idée de ce rallye est née de la rencontre entre Alain Brousse, organisateur de raids avec son association Afri’4L, et l’Agefiph, association d’aide à l’emploi des personnes en situation de handicap. Alain Brousse a derrière lui trente ans de compétition dans le tout-terrain. «Cela faisait quelques années que j’y songeais. En 2009, sur un Dakar, j’ai vu un pilote bien handicapé qui a fait toute la course. Je me suis dit qu’il fallait que je mette en place quelque chose.» Il a trouvé des partenaires sensibles à cette cause avec l’Agefiph et le groupe Aftral, formateur dans le secteur du transport.
Sésame
Les deux organismes, avec le soutien des fédérations professionnelles concernées, ont mis en place ensemble la PECF, la «pré-évaluation des capacités à la formation» à la conduite de poids lourds pour les personnes avec un handicap moteur, avec tests psychotechniques et évaluation d’un ergothérapeute. «On leur offre la possibilité de se confronter à la fonction de conducteur de marchandises, avec des tests de simulation et des camions aménagés», précise Ivan Talpaert, délégué Hauts-de-France de l’Agefiph. Un parcours innovant et récent, car il a fallu revoir la liste des profils autorisés à prendre le volant avec la sécurité routière.
Le rallye est un outil de communication assumé, pour changer les perceptions. «Donner à voir le champ des possibles, c’est important», explique Ivan Talpaert. Il le précise, 80 % des handicaps arrivent en cours de vie. Un AVC, un accident, ou l’usure professionnelle. Humberto Da Silva, ancien plombier chauffagiste, ne peut plus porter de charges lourdes : il tente d’avoir le sésame, le permis poids lourd. Mais il lui manque l’entreprise, par laquelle il pourrait le passer. Il a pourtant la PECF : «On me dit, votre profil est intéressant, mais vous ne nous intéressez pas, raconte-t-il. Quand je demande si c’est à cause de mon handicap, ils répondent non.» Son coéquipier valide, Elian Chieux, 21 ans, chargé de communication en alternance à Aftral, le reconnaît : «Rien que de discuter avec Humberto du monde du travail, ça fait ouvrir les yeux.»
«C’était rock’n’roll»
La vingtaine d’équipages engagés (des duos valide-personne en situation de handicap) a mis une semaine à rejoindre le Sud, à une moyenne de 70 km/h. Un parcours pas si simple à organiser, avec des hébergements accessibles PMR (personnes à mobilité réduite), et des étapes de 250 kilomètres en moyenne. Il en coûtait 720 euros par personne, en demi-pension : «Mais je suis fier de dire qu’on a réussi à trouver 90 % du budget grâce à des aides et à des dons», précise Alain Brousse, qui a mobilisé son réseau de propriétaires de voitures anciennes sur l’aventure.
La caravane comptait une escouade de mécaniciens et un handi-truck, avec nacelle pour accéder à la cabine, conduit par Jérémy Soots, 31 ans, paraplégique. Il est l’un des trois chauffeurs routiers français professionnels, porteurs de ce handicap. Il transportait les nécessaires pièces de rechange. Victime d’un accident de la route en 2017, Jérémy Soots a essuyé les plâtres de la PECF et s’est battu pour garder son métier de chauffeur routier. Il l’a retrouvé il y a un an : «C’est top, une libération. Les gens voient un chauffeur sur son poste de conduite, et pas une personne en situation de handicap», raconte-t-il. Sur le rallye, il a tout apprécié, surtout les rencontres : «Il faut toujours sensibiliser le plus de personnes. En fauteuil roulant, même avec tout ce qui rend les choses plus compliquées, on peut avoir une vie aussi passionnante qu’un valide.» Avec les mêmes frissons, quand, sur une route de montagne étroite, le camion passe tout juste, en serrant à gauche. «C’était rock’n’roll par endroits, sourit-il, mais ça crée des souvenirs.»