Du 3 au 6 avril 2025 à Bordeaux, le Fonds de dotation Quartus pour l’architecture organise une série de rencontres, ateliers et explorations urbaines sur la manière de concevoir et habiter les villes. Un événement dont Libération est partenaire.
Comment engager activement les habitants dans la transformation de leur cadre de vie ? Comment partager ses compétences d’architecte pour faire émerger des projets en phase avec leurs aspirations ? Comment s’affranchir du modèle de l’architecte omniscient pour devenir un passeur, travaillant non pas pour, mais avec les habitants ?
Au milieu des années 1990, ces questionnements animent un groupe d’étudiants de l’école d’architecture et de paysage de Bordeaux. En rupture avec une formation éloignée du terrain, ils fondent «Bruit du frigo» pour expérimenter des démarches de projet participatives et pluridisciplinaires. Dès ses débuts, le collectif repense le rôle de l’architecte comme accompagnateur de la société civile. L’espace public devient un terrain d’expérimentation où l’on teste des usages et des dispositifs spatiaux dans un esprit de co-construction, renforçant le lien social et transformant chaque projet en aventure partagée.
Depuis trente ans, Bruit du frigo expérimente de nouvelles manières d’intervenir dans la fabrique urbaine. Trois projets emblématiques témoignent de cette démarche.
A Dax (Landes), l’implication des habitants sur toute la chaîne du projet. Dans le quartier Cuyès, Bruit du frigo associe les habitants à chaque étape, de l’identification des besoins à la réalisation concrète. Une structure temporaire, le Cabanon Cuyès, sert de laboratoire ouvert où les habitants partagent leurs aspirations et forgent une vision collective. Ensuite, avec le protocole «J’peux pas j’ai chantier !» les habitants participent directement à la co-conception et à la co-fabrication des aménagements pérennes.
A Casablanca, «faire ensemble» pour aménager l’espace public. Lors d’une résidence artistique à Casablanca, au Maroc, Bruit du frigo initie «la Fabrique du lac», un projet visant à révéler le potentiel de deux espaces emblématiques du quartier El Firdaous : une place délaissée et un lac pollué. Plutôt que de partir d’un plan figé, le collectif installe une fabrique de mobilier urbain éphémère. Cet atelier collaboratif permet aux habitants d’expérimenter et de construire eux-mêmes des équipements, préfigurant l’évolution des espaces concernés. Le succès immédiat démontre que d’un processus collectif spontané peut émerger un projet urbain.
A Lyon, expérimenter un projet sans programme. Avec Station Mue, à Lyon Confluence, Bruit du frigo pousse encore plus loin l’idée d’un projet sans programme prédéfini, où les usages émergent au fil du temps. Cette structure en plein air offre un cadre souple d’appropriation libre où les habitants et les acteurs locaux peuvent inventer leurs propres usages. Cette approche prouve que l’expérimentation et la réversibilité sont des outils puissants pour réinventer l’espace public à partir de la vie qui s’y déploie.
D’abord perçues comme marginales, ces pratiques collaboratives gagnent progressivement en légitimité. Aujourd’hui reconnues et enseignées, elles constituent une alternative pertinente et crédible à la maîtrise d’œuvre classique.
Toutefois, ces expérimentations restent souvent cantonnées au transitoire et peinent à s’intégrer dans les marchés publics classiques, freinées par des cadres réglementaires rigides et des budgets précaires.
Pourtant, des dynamiques de structuration émergent afin d’influer sur les politiques publiques (le réseau Superville, le mouvement de l’urbanisme culturel, la Preuve par 7…) et de démontrer que face à l’urgence écologique, ces pratiques alternatives de l’urbanisme sont un levier essentiel pour promouvoir une fabrique urbaine solidaire, responsable et résiliente.