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Gratuité des transports : initiative

En Espagne, la gratuité des transports va bon train

Gratuité des transports : un ticket pour la ville ? dossier
Depuis 2022, le socialiste Pedro Sánchez travaille à rendre les transports en commun accessibles. A partir de janvier, les jeunes et les chômeurs voyageront ainsi gratuitement.
Un train de la Renfe à Sitges, en Catalogne, le 14 octobre 2023. (Emmanuele Contini/NurPhoto.AFP)
publié le 19 décembre 2023 à 10h39

Tout a commencé dans le sillage de la pandémie du coronavirus, lorsque à l’instar de tous les Européens, les Espagnols souffraient de plus en plus des factures d’électricité ou de gaz et de la cherté grandissante du panier de la ménagère. Le gouvernement du socialiste Pedro Sánchez opte alors pour une batterie de mesures sociales : augmentation du plancher du revenu moyen, baisse de la TVA sur les aliments de première nécessité, subvention pour plafonner le coût de l’électricité… Et, dans ce contexte, une mesure inédite : la gratuité dans les transports publics pour les mineurs, les jeunes et les chômeurs. Objectif affiché par la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera : «Réduire substantiellement la circulation de véhicules privés dans les agglomérations, en bonne partie pour nous adapter au changement climatique.»

Retour en septembre 2022 : l’exécutif de gauche annonce mettre en place des «bons» d’une validité de trois mois, moyennant une caution de 10 à 20 euros pour emprunter le réseau de trains de banlieue de Madrid et Barcelone, mais aussi les trains moyenne distance dans l’ensemble du pays, de type Madrid – Salamanque (Castille) ou Orense – La Corogne (Galice). Afin de favoriser les personnes qui prennent régulièrement le train, le système prévoit qu’on ne peut bénéficier du dispositif que si les parcours sont déterminés à l’avance, sans possibilité de changements. Les autorités nationales ponctionnent alors dans les fonds européens «Next Generation» à hauteur de 13 milliards d’euros. L’exécutif a ensuite prorogé ces dispositions durant toute l’année 2023, avec son extension aux cars interurbains financés par l’Etat et une réduction de 50 % sur le prix des abonnements d’autobus et de métro.

Trains saturés

Fin novembre, avec la garantie d’un nouveau mandat en poche, le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, annonçait vouloir maintenir la baisse des prix des abonnements de transport, mais «en allant encore plus loin». Ainsi a donc été décidée, conformément au programme pour sa réélection, la gratuité des transports pour les mineurs, les jeunes et les chômeurs.

Pour autant, ces largesses ont donné lieu à des situations souvent chaotiques. Le média en ligne Xataka relève que, tout au long de 2023, en particulier dans les agglomérations de Madrid et de Barcelone, on a vu des métros ou des trains de banlieues saturés en raison d’un effet d’appel. Hors des grandes villes, le cas le plus emblématique est celui de l’«axe Atlantique», entre La Corogne et Saint-Jacques-de-Compostelle, où jusqu’à 66 500 voyageurs hebdomadaires peuvent s’entasser, au détriment du confort des usagers habituels. Parallèlement, davantage sur des déplacements de moyenne distance, il est fréquent que des wagons entiers se retrouvent vides ou à moitié vides alors qu’ils apparaissent «pleins» sur les plateformes digitales : nombre d’usagers réservent très à l’avance une ou plusieurs places (gratuites ou à prix réduit), puis se rétractent au dernier moment.

Des voix discordantes

Les objectifs ont-ils été atteints ? Oui, à en croire le gouvernement. Selon le ministère des Transports, le nombre de voyageurs de la Renfe (la SNCF espagnole) a augmenté de 40 % pour les trajets de moyenne distance, et de 25 % pour les déplacements dans les banlieues. Pas tout à fait, estiment l’opposition et autres détracteurs : ceux-ci pointent du doigt des insuffisances, voire des incohérences, dans le système, principalement du fait que les communes et les régions ont la responsabilité de la mise en œuvre des mesures de gratuité ou de réduction des tarifs.

Surtout, nombre de voix font valoir que ces mesures n’ont pas entraîné une réduction de la circulation de véhicules privés dans les villes. Une étude réalisée par l’Esade – une des principales écoles de commerce du pays – affirme que cela n’a pas eu d’effet sur le trafic à Madrid. Cette même étude recommande de ne pas tant parier sur la gratuité ou la réduction des trajets, mais plutôt d’investir «pour un meilleur accès et une meilleure fréquence des transports publics», ainsi que de «mettre en place des péages où la tarification se ferait en fonction du poids des véhicules, afin d’encourager le renoncement au véhicule privé». Pour autant, le chef du gouvernement voit déjà sur le très long terme : «Nous voulons que le transport public gratuit soit permanent et consolide l’Espagne comme une référence de soutenabilité environnementale, disait-il début décembre. Une façon de lutter contre le démantèlement des installations publiques que proclame la pensée néolibérale de ceux d’en haut.»