Fin décembre, les 500 000 habitants de la métropole de Montpellier bénéficieront de la gratuité des transports dans les bus et les trams. Une mesure à imiter dans toutes les villes de France ? Rendez-vous le 21 décembre, à l’Opéra Comédie pour un débat sur les enjeux de la mobilité. Entrée libre sur inscription.
Innovation majeure pour les uns, fausse bonne idée pour les autres, la gratuité des transports n’en finit pas d’agiter le débat public en France. Régulièrement plébiscitée par des municipalités de tous bords politiques qui l’érigent en totem, elle connaît un regain d’intérêt depuis la fin des années 2010 et a même fait partie des programmes municipaux de 18 maires élus en 2020 dans des communes de plus de 20 000 habitants. Dernière en date, la métropole de Montpellier : le maire PS Michaël Delafosse a annoncé cet automne, en grande pompe, que les bus et trams de la ville deviendraient gratuits dès le 21 décembre 2023 pour tous les habitants, soit quelque 500 000 Montpelliérains. La commune devient, avec Tallinn en Estonie, l’une des plus grandes métropoles européennes à proposer un tel service. Autant dire que la mise en œuvre de cette mesure sera scrutée avec beaucoup d’intérêt dans les prochains mois. Ses défenseurs y voient un début de réponse aux enjeux sociaux et écologiques de la mobilité et le moyen de revitaliser les centres-villes. Ses détracteurs pointent quant à eux des effets pervers, tels que le surcoût pour les finances de la ville et les entreprises, le risque de dégrader le service et les conditions de travail des salariés affiliés.
L’idée est dans tous les cas loin d’être neuve. Si on déroule l’historique de la gratuité des transports dans le pays, des petites villes de la région parisienne, mais aussi de l’Oise ou du côté de Toulouse l’ont expérimentée dès les années 70, à l’instar de Colomiers (1971) ou Compiègne (1975). Cinquante ans plus tard, ce sont plus de 40 communes françaises qui disposent d’un réseau au sein duquel tous les usagers, sans distinction, bénéficient sans payer des services réguliers de transport public. «On parle ici de gratuité totale, mais il faut faire la distinction entre les intercommunalités qui la proposent à leurs habitants uniquement, comme c’est le cas à Montpellier, et celles qui l’ont étendue aux visiteurs, à l’instar de Dunkerque, Bourges ou Morlaix», précise Julie Calnibalosky, animatrice scientifique de l’Observatoire des villes du transport gratuit. Créé en 2019 pour exercer une veille, il mène notamment des études sur le sujet afin d’améliorer l’état des connaissances et d’évaluer les effets de la gratuité. «Montpellier est un petit événement, car avant, la plupart des territoires qui se sont emparés de cette mesure comptaient plutôt entre 50 000 et 100 000 habitants, comme Niort, dans les Deux-Sèvres. Il y en a seulement sept qui dépassent la barre des 100 000», précise la géographe urbaniste. Se rajoutent ensuite une vingtaine d’autres villes qui testent la gratuité dite partielle : avec des critères sociaux, d’âge ou des jours spécifiques dans la semaine. Nantes propose ainsi un réseau libre et accessible à tous les week-ends uniquement.
«Très méconnue»
«Magique, risquée, un peu farfelue… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est connotée cette gratuité et qu’elle attire le regard. Elle est adossée à une multitude de croyances mais reste finalement très méconnue», pointe d’emblée Arnaud Passalacqua, professeur en aménagement de l’espace et urbanisme à l’université Paris Est Créteil Val-de-Marne et coprésident de l’observatoire. Selon lui, beaucoup de Français ignorent par exemple que les recettes des billets ne comptent qu’à la marge dans le financement des transports. «Il y a certes des disparités selon les villes, mais elles représentent en moyenne entre 10 et 20 % des frais de fonctionnement et ne couvrent en aucun cas les investissements», détaille-t-il.
Pour compenser cette perte de revenus, les stratégies relèvent avant tout du choix politique. Elles sont aussi nombreuses que les villes qui tentent l’expérience. Le premier levier consiste à moduler le fameux versement mobilité, une taxe payée par toutes les entreprises de plus de 11 salariés. «Au risque de peser sur notre fiscalité», dénoncent ces dernières. Deuxième levier : revoir les priorités dans les dépenses des collectivités. Dunkerque, un cas d’école dans l’histoire de la gratuité des transports en France a par exemple choisi, entre autres, d’abandonner un projet de salle de concert pour aider à financer la gratuité. Niort a décidé de revoir la taille de son réseau à la baisse. «Nantes assume quant à elle d’en rester à la gratuité les week-ends, car la ville préfère investir dans le covoiturage», précise Arnaud Passalacqua.
«Une locomotive»
Parmi les critiques les plus fréquentes, les opposants s’inquiètent d’un risque de «service au rabais» : surfréquentation, cadence et amplitude horaire insuffisantes, hausse des incivilités liée à l’absence de contrôleurs, dégradations des conditions de travail… «Nous sommes pour la tarification sociale, une gratuité uniquement pour ceux qui en ont besoin. Pourquoi se priver de ressources alors qu’un certain nombre de familles et de professionnels peuvent payer ?» s’interroge ainsi Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). «Ce n’est pas le prix qui est déterminant si on veut que les gens prennent le bus, le métro ou le tram, mais la qualité des services, tranche-t-il. D’ailleurs, rien ne prouve que la gratuité permet de détourner les citoyens de la voiture.»
Du côté de l’observatoire, on est catégorique : «La gratuité est un socle, une locomotive pour se lancer dans de nouvelles habitudes, mais il faut que la qualité du réseau soit au rendez-vous et qu’elle ne se dégrade pas dans le temps, voire continue de s’améliorer pour constater des effets positifs tels que le regain d’attractivité des centres-villes, l’accélération du réaménagement des villes ou l’impact sur la mobilité des jeunes et des automobilistes», analyse Julie Calnibalosky. A Dunkerque par exemple, une restructuration a été adossée au projet de gratuité. Un succès : la commune enregistre +125 % de fréquentation du réseau en cinq ans, sans toutefois supprimer la place de la voiture en ville. A ce jour, les chiffres ne permettent pas de mesurer les bénéfices écologiques directs car les effets sur le trafic automobile restent méconnus, note l’observatoire. «En revanche, ce que l’on constate, c’est que la gratuité est aussi une question d’identité. Elle permet souvent de redorer l’image des transports en commun, et du maire par la même occasion, complète Arnaud Passalacqua. C’est pourquoi elle survit presque toujours à l’alternance politique et que les retours en arrière sont rares.»