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Gratuité des transports : analyse

Transports gratuits : trouver les recettes du succès

Gratuité des transports : un ticket pour la ville ? dossier
Les opposants à la gratuité des transports avancent souvent l’argument de la difficulté à remplacer les rentrées d’argent issues des billetteries.
Valérie Pécresse, présidente de l'Ile-de-France et d'Ile-de-France Mobilités, accompagnée de Clément Beaune (au centre), ministre des Transports, lors de l'essai d'une rame de la future ligne 15, le 28 novembre 2023 dans le Val-de-Marne. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 20 décembre 2023 à 23h36

Si les avantages sociaux et environnementaux d’une gratuité des transports en commun font peu débat, le principal écueil invoqué par ses détracteurs reste l’argument économique. Une discussion qui se résume ainsi : les avantages au profit des classes populaires et de la lutte contre la pollution tirés d’une gratuité des transports valent-ils le coup au regard des dépenses déployées ? Ou cet argent utilisé pour parvenir à cette mise en place aurait-il été mieux investi ailleurs ?

Il faut saisir la complexité du financement des transports collectifs urbains. Tout d’abord, le versement transport (47 % des ressources en moyenne). Il s’agit d’un pourcentage de la masse salariale des entreprises de onze salariés et plus qui permet chaque année aux quelque 250 autorités organisatrices des transports publics de récolter 7,3 milliards d’euros, selon un rapport sénatorial publié en 2019, dont près de la moitié pour la seule région parisienne. Deuxième spot d’entrées d’argent, les recettes commerciales couvrent, en dehors de l’Ile-de-France, 20 % des coûts d’exploitation des réseaux dotés de métros et tramways et autour de 11 % pour les autres.

Mais les recettes du côté des entreprises comme des usagers ne suffisant pas à payer les coûts d’exploitation et d’investissement, les pouvoirs publics sont appelés à participer, avec de fortes disparités en fonction des territoires. Dans les plus petits réseaux de transport (50 000 à 100 000 habitants), 43 % des ressources provenaient en 2015 de la fiscalité locale ou des dotations de l’Etat. Une part qui a doublé en moins de quinze ans en raison de la baisse des recettes commerciales.

Une baisse observée ailleurs en France : de 22 % en 2000 à 28 % en 2015 pour les réseaux qui ne possèdent ni métro ni tramway, et de 30 % à 32 % pour ceux qui possèdent au moins l’un des deux. L’effondrement de ces recettes commerciales au profit des ressources publiques était d’ailleurs l’un des arguments économiques avancés par la communauté urbaine de Dunkerque pour passer à la gratuité en 2018.

Reste le cas épineux des transports publics franciliens. Réseau parmi le plus dense au monde, il est coûteux, tant en raison de sa mise en branle au quotidien que pour les investissements nécessaires à son agrandissement et à sa modernisation. En 2023, le budget de fonctionnement d’Ile-de-France Mobilités était de quasi 11,4 milliards d’euros – un coût qui devrait progresser avec l’agrandissement du réseau dans les prochaines années. Autour de 3 milliards d’euros proviennent directement des usagers franciliens et 1 milliard du remboursement du pass Navigo par les entreprises à leurs salariés abonnés. Or, selon le rapport de la région, seuls 250 millions d’euros pourraient être économisés en supprimant les portiques et la lutte contre la fraude – ce qui signifie des emplois en moins. Selon un rapport commandé par la région en 2018, le report modal n’entraînerait en revanche qu’entre 2 % et 5 % de baisse du trafic automobile. En dehors d’un changement de paradigme général, la question des coûts-bénéfices penche, notamment de l’avis des associations d’usagers, plutôt vers des gratuités ciblées.

Et au-delà, comment pourrait-on financer une gratuité des transports ? Le rapport sénatorial de 2019 égrène quatre propositions : les péages urbains, la «taxation des plus-values immobilières liées aux infrastructures de transport», l’évolution autour du stationnement, ainsi que l’augmentation de la part des impôts nationaux reversée aux transports, notamment de péages en cas de renationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes ou des taxes sur les carburants. Une autre option serait de financer l’ensemble des transports du quotidien en France par les impôts et des taxes aux entreprises et à la population, comme c’est le cas pour les routes en dehors d’une partie du réseau autoroutier, en fonction donc des moyens de chacun. Pour ces recettes alternatives comme pour la mise en place de la gratuité, cette décision n’est pas réellement économique, mais reste un choix éminemment politique.