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Au Cœur de la Bioéthique

Troubles psychiatriques : quel suivi après la prison ?

Au Cœur de la Bioéthiquedossier
La population carcérale compte de nombreuses personnes souffrant de troubles psychiatriques et la libération est un moment critique.
A l'unité de soins de la prison de Pau, en mai 2021. (Quentin Top)
publié le 14 janvier 2025 à 7h22

S’informer, échanger, bousculer les certitudes sur des questions qui dérangent… Telle est l’ambition du Forum européen de bioéthique de Strasbourg. Au programme de cette quinzième édition, du 29 janvier au 1er février 2025 : la santé mentale.

La libération après l’enfermement carcéral n’est pas toujours vécue comme un événement heureux. C’est ce qu’explique le psychiatre Thomas Fovet, maître de conférences en psychiatrie de l’adulte à l’Université de Lille. Ce moment est associé à de nombreux facteurs de stress qui ont pour conséquence une surmortalité, particulièrement importante dans les premières semaines qui suivent la sortie. Dans ce contexte, la continuité des soins psychiatriques est un enjeu majeur. Afin de limiter ces risques et d’assurer un relais vers les dispositifs de droit commun, Thomas Fovet a contribué à la création de la première équipe pluridisciplinaire dédiée, à Lille, le dispositif Emot (équipe mobile transitionnelle). Il prend en charge les anciens détenus durant une période de six mois.

Les personnes souffrant de troubles psychiques devraient-elles se retrouver enfermées au sein de prisons «classiques» ?

En tant que soignant on a le sentiment que la vie en détention est extrêmement compliquée pour les gens qui ont des troubles psychiatriques sévères. Le système actuel n’est pas adapté. Malheureusement, c’est un fait avec lequel nous devons composer.

Les problématiques de santé mentale sont-elles différentes en prison ?

Les problématiques de santé mentale en prison ne diffèrent pas de celles existant en population générale. Elles sont néanmoins largement amplifiées par l’environnement carcéral et y sont également beaucoup plus fréquentes. Par rapport à la population générale de même âge et de même sexe, il y a trois fois plus de troubles psychiatriques et huit fois plus de problèmes d’addiction à l’entrée en détention.

Votre accompagnement comprend un volet social et administratif. Pensiez-vous que cet élément serait à ce point crucial ?

Nous y avions pensé car dès le départ ce dispositif proposait une approche globale de la sortie de prison, mais la réalité nous a un peu dépassés, nous avions sous-estimé certains enjeux. Nous nous sommes rendu compte à quel point il était difficile en pratique de sortir d’un établissement pénitentiaire. Beaucoup de démarches sont complexes, d’autant plus lorsque l’on souffre d’un trouble psychiatrique non équilibré. La proportion de patients qui sont en situation de grande précarité est également plus importante que ce que nous avions imaginé.

Pour faire face à tout cela, nous avons revu à la hausse le temps des travailleurs sociaux qui interviennent dans l’équipe. C’est un maillon incontournable. On peut déployer des dizaines de soignants, si la personne accompagnée n’a pas de logement, d’emploi ou de droits ouverts à la sécurité sociale, les soins perdent leur perspective de rétablissement.

Vous notez une stigmatisation des personnes qui ont fait un passage en prison y compris par le personnel soignant. Y a-t-il un enjeu de formation ?

Oui, plus les personnels seront formés et plus cette stigmatisation s’atténuera. Il faut montrer qu’un patient passé par la prison n’est pas différent d’un autre patient. C’est aussi essentiel pour l’attractivité de l’exercice des soins en prison, car il existe de sérieux problèmes de recrutement.

Quelles sont les pistes d’amélioration de ce dispositif ?

Les pistes de progression sont essentiellement l’accès au logement (ou même à l’hébergement d’urgence) et à l’emploi. Le premier est fondamental puisque la psychiatrie est organisée par secteur géographique. L’hébergement précaire complexifie considérablement les suivis. Nous avons également des difficultés à amener les personnes vers l’emploi pendant le temps de l’accompagnement. Ce sont des éléments essentiels pour une prise en charge globale des personnes concernées.