Nous vivons une urgence planétaire aux conséquences profondément inégalitaires à l’échelle mondiale. 700 millions de personnes vivent avec moins de 2,15 dollars par jour, 4 milliards n’ont aucune protection sociale, et 850 millions de femmes sont victimes de violence. D’ici 2030, le changement climatique pourrait plonger plus de 100 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté extrême.
Le nombre de ces «oubliés» augmente, il s’agit surtout de femmes, d’enfants et de jeunes, ainsi que de populations rurales, de communautés vulnérables et de pauvres en milieu urbain. Tous font face à des défis multiples dus à la discrimination, l’isolement, la vulnérabilité aux chocs et le manque d’accès aux ressources.
En tant que coprésidente du Club de Rome et présidente exécutive d’Earth4All, j’ai pu constater que la transition écologique, si elle n’est pas gérée avec soin, peut aggraver les inégalités existantes et en créer de nouvelles. Notre système économique actuel échoue à protéger à la fois les gens et la planète. Il nous faut une nouvelle approche qui priorise le bien-être, pour tous.
Faire face à ces défis est impossible sans démanteler les inégalités profondes et néocoloniales qui priorisent le profit aux dépens des humains et de la planète. Les véritables causes de ces défis sont les inégalités et la surconsommation par une minorité de ressources limitées. Assurer des ressources minimales à tous ceux qui en manquent exercerait moins de pression sur le système terrestre que la consommation excessive actuelle causée par une minorité.
«Trop peu, trop tard»
La modélisation de ces systèmes par Earth4All décrit deux futurs. Dans le scénario «Trop peu, trop tard», le monde poursuit les inégalités croissantes et la destruction de l’environnement : les grands oubliés subissent les pires impacts du changement climatique et des perturbations économiques. Ce scénario aligne les ingrédients pour des troubles sociaux et une dégradation environnementale accrue. Emanciper les oubliés implique de transformer les systèmes qui perpétuent la répartition inégale des richesses et du pouvoir de décision.
Notre scénario souhaitable est intitulé «Pas de géant», il vise une transition qui sort de la pauvreté des milliards de personnes tout en respectant les limites planétaires. Ce scénario repose sur cinq «changements de cap extraordinaires» au cours de la prochaine décennie afin de créer un monde plus équitable et durable : éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités, émanciper les femmes, et enfin, transformer nos systèmes alimentaires et énergétiques. Ces transformations sont essentielles pour garantir que notre système économique soit au service de la société et de l’environnement. En pratique, nous proposons de passer de la maximisation du PIB à la maximisation du bien-être pour tous.
Pour que la transition soit équitable, il nous faut une fiscalité progressive et une redistribution des richesses, afin que les coûts ne pèsent pas sur ceux qui sont le moins capables de les supporter. Un dividende universel de base pourrait servir de filet de sécurité pendant la réorganisation de nos économies.
La transition écologique doit aller au-delà de la préservation de notre planète. Nos modélisations montrent qu’aucun des objectifs environnementaux ne sera atteint sans une action concertée sur les inégalités et la pauvreté : notre vitesse d’action sur les limites planétaires est directement liée à la vitesse d’action sur les inégalités et la pauvreté. C’est seulement à travers ces cinq changements de cap extraordinaires appliqués simultanément que nous pourrons générer les solutions nécessaires pour assurer nos objectifs communs présents et futurs.
La survie de l’humanité dépend de notre capacité à revenir à un équilibre durable, ce qui ne sera possible qu’en répondant aux besoins humains fondamentaux des populations du monde entier, afin que les oubliés d’aujourd’hui deviennent les citoyens autonomes de demain. C’est le seul moyen d’assurer un avenir stable et prospère à l’intérieur des limites planétaires pour l’ensemble de l’humanité.