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Climat Libé Tour : tribune

Une pêche durable est-elle encore possible ?

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Directeur scientifique de l’ONG Bloom, dédiée à la défense des océans, Frédéric Le Manach déplore un manque de volonté politique pour organiser une transition radicale nécessaire.
A bord d'un chalut dans la baie de Saint-Brieuc, en juillet 2022. (Delphine Lefebvre/Hans Lucas.AFP)
par Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’ONG Bloom
publié le 14 novembre 2024 à 1h14

La question de la pêche durable devrait être au cœur du débat tant elle semble désormais vitale au regard de l’effondrement climatique et celui de la biodiversité dont nous sommes les témoins ébahis. Le 8 octobre, d’éminents scientifiques nous avertissaient qu’en l’absence de politiques publiques radicales, l’humanité serait confrontée à une catastrophe climatique irréversible et dramatique, qui menacerait notre existence même sur la planète. Moins de trois semaines plus tard, le 30 octobre, la région espagnole de Valence vivait – très concrètement – cette catastrophe climatique, avec plus de 200 morts et de nombreux disparus.

Nous vivons aujourd’hui ce qui nous semblait hier encore être de lointaines projections scientifiques, malgré cinquante ans de constats depuis le visionnaire rapport Meadows de 1972. Pour sortir de l’ornière, nous devons opérer une transition énergétique, mais aussi protéger et surtout restaurer les écosystèmes. Point de salut si le second levier n’accompagne pas le premier.

Or, c’est là que le bât blesse : il n’y a aucune volonté politique pour organiser cette transition radicale. Bien au contraire, les pouvoirs publics nous donnent, jour après jour, la très désagréable impression de mettre toute leur détermination dans la destruction du monde vivant pour rendre la Terre inhabitable le plus vite possible. Ainsi, que dire de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui voue une haine affichée au loup ; loup qui a commis l’impair de dévorer son poney Dolly. La situation n’est guère moins affligeante en France et dans le secteur de la pêche, où l’une des premières actions du nouveau ministre délégué chargé de la Mer et de la Pêche, Fabrice Loher (par ailleurs maire de Lorient, deuxième plus gros port de pêche français) a été de se rendre à Boulogne-sur-Mer (plus gros port de pêche français) pour y apporter son soutien à la «filière». Mais quelle filière ? Celle des petits pêcheurs côtiers du quai Gambetta, qui mettent la clé sous la porte les uns après les autres, anéantis par des années de pêche électrique et désormais par la non moins problématique senne démersale ? Ou bien celle des pêcheurs industriels du bassin Loubet, où l’on retrouve notamment cette même senne démersale ? Il n’existe aucun doute, malheureusement, tant la proximité du ministre avec le tout-puissant patron des pêcheurs, Olivier Le Nézet, lui aussi lorientais, est affichée. Une proximité qui fait froid dans le dos, car alors que se murmure dans les couloirs bruxellois que la pêche électrique est de nouveau à l’ordre du jour, ce monsieur vient de signer un accord ouvrant grand les portes à la senne démersale.

À l’heure où le poisson le plus consommé en France, à savoir le thon, est synonyme de scandale de santé publique, de violations des droits humains et de destruction des écosystèmes, la transition planifiée et rapide du secteur de la pêche devrait être au cœur du débat public. Nous exhortons les pouvoirs publics à couper les liens avec les lobbys industriels qui nous ont menés dans le mur et à écouter, enfin, les alertes des scientifiques. Les 15 points pour sauver l’océan proposés par Bloom, ainsi que les 11 règles d’or établies par des spécialistes pour une pêche véritablement sociale et écologique, tracent les contours de cette révolution. En réduisant la pression de pêche, en sanctuarisant des zones marines et en interdisant les pratiques les plus destructrices, nous pourrions rebâtir un rapport de respect avec la mer et atteindre une «pêche durable». Il en est encore temps, mais le compte à rebours est enclenché.