Menu
Libération
Les 24 heures de Libé

«Une pratique du vrai qui échappe au pouvoir et à la croyance», par Salomé Saqué

La vérité a-t-elle encore un avenir ? C’est la question autour de laquelle débattront les invités de la deuxième édition des «24 heures de Libé», le 8 novembre 2025 à Paris. Pour la journaliste Salomé Saqué, l’extrême droite a pour objectif de détruire le savoir.

Salomé Saqué, à Marseille, le 19 octobre 2024. (Patrick Gherdoussi/Libération)
Par
Salomé Saqué
journaliste
Publié le 27/10/2025 à 6h12

Au début du mois d’octobre, l’historien Mark Bray, spécialiste de l’histoire de l’antifascisme, a dû fuir son pays en urgence après que Donald Trump a passé un décret qualifiant les «antifas» de terroristes. Pris pour cible par les milieux d’extrême droite, il a été accusé de «propager une idéologie radicale». Son tort ? Avoir documenté un mouvement politique. Lui et sa famille sont désormais réfugiés en Espagne. Cette affaire est symptomatique d’un mouvement de délégitimation et de mise en danger de ceux dont le métier consiste à produire du savoir : universitaires, chercheurs ou journalistes. Les offensives de discrédit sont toujours les mêmes, et ont largement dépassé les frontières américaines. Sur la base d’attaques ad hominem, les producteurs ou diffuseurs d’information sont accusés d’être des «idéologues». En France comme ailleurs, on parle désormais volontiers de «journalisme woke», d’«intellectuels détachés du peuple» ou de «chercheurs d’extrême gauche». Couplez ça à des offensives politiques bien réelles pour réduire l’indépendance voire l’existence de nombreuses institutions, et vous aurez une idée de l’objectif de l’extrême droite : détruire le savoir. Le vice-président de Donald Trump, J.D. Vance, l’a d’ailleurs explicité sans réserve en déclarant en 2021 : «Les universités sont l’ennemi.»

Alors dans cet océan de relativisme, où chacun revendique «sa vérité», pourquoi croirait-on encore les scientifiques ou les journalistes qui répondent à une déontologie ? Puisque leur autorité ne tient plus à leur statut, ni à l’habitude de leur faire confiance, peut-être pouvons-nous encore rappeler qu’elle tient à leurs méthodes. La méthode scientifique, universitaire ou journalistique ne garantit pas la vérité ; elle rend possible l’existence du vrai. Elle est un dispositif social de responsabilité : un ensemble de pratiques (citation, vérification, confrontation, relecture) qui contraignent ceux qui parlent à répondre de leurs affirmations. Ce qui distingue le savoir de l’opinion ou de la propagande n’est pas la vertu de celles et ceux qui le produisent, mais le régime de contrainte dans lequel ils s’inscrivent ! Les chercheurs ne sont pas libres de dire ce qu’ils veulent : ils sont tenus par la cohérence méthodologique, la traçabilité de leurs sources ou encore la reproductibilité de leurs résultats. Leur légitimité ne vient pas d’une impossible «neutralité», mais de l’exposition publique de leur méthode, c’est-à-dire du travail qui rend visible le chemin entre ce qu’on observe et ce qu’on affirme. La méthode n’est pas l’opposé de la subjectivité, mais la forme collective qu’elle prend lorsqu’elle se rend responsable devant les autres. Au fond, c’est cela que visent les détracteurs de Mark Bray : une pratique du vrai qui échappe au pouvoir et à la croyance. Lorsqu’on disqualifie la recherche, le journalisme ou l’enseignement, ce n’est pas seulement la connaissance qu’on fragilise, mais notre capacité à nommer ensemble ce qui est réel.

Journaliste et autrice, Salomé Saqué est l’autrice de Résister (Payot).

Retrouvez Salomé Saqué aux «24 heures de Libé» à la Cité de la musique lors de la table ronde «Manipuler les émotions et extrême droite : comment les fausses infos capturent nos affects ?», entre 15 h 30 et 16 h 30 (Grande scène).