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Libération
Critique

Une vie de grimpeur vue par Nicolas Moineau

Une saison à la montagnedossier
«A Perte de vue» relate le parcours d’un sportif d’exception, champion du monde d’escalade... aveugle.
Nicolas Moineau durant la finale des championnats du monde en salle, en 2016 à Paris. Photo MIGUEL MEDINA / AFP. (Miguel Medina/AFP)
publié le 2 mai 2024 à 1h56

C’est l’histoire improbable d’un champion d’escalade qui grimpe sans rien y voir. «Tout petit, certains signes ont alerté mes parents. Ils décident de me faire suivre par un ophtalmo qui me renvoie vers un orthoptiste. Les pros de la vision analysent, tâtonnent, testent, placent un cache sur mon œil au motif qu’il est trop dominant […] Il y a visiblement quelque chose qui cloche chez moi que je ne parviens pas à identifier. Alors, je me réfugie dans le déni, ce merveilleux compagnon qui va tracer ma route des années durant. Très vite, j’ai décidé de “ne pas voir” […] Pour compenser, et surtout dissimuler mes troubles, je me rapproche toujours un peu plus du tableau… noir.»

Nicolas Moineau est atteint de rétinite pigmentaire. Il apprend, autour de quatorze ans, qu’il va perdre la vue. Alors, en lieu et place de descendre aux enfers, il marche, court, s’essaie à la boxe, au vélo. Et puis, aussi, la grimpe. «A Clermont, je m’astreins donc à l’escalade avec plaisir, plusieurs fois par semaine. Face au mur, ni contrainte, ni limite, mais un corps à corps que rien n’empêche, pas même une vision troublée… Dans ces instants entre parenthèses, je suis capable d’obstination et de dépassement, avec une prise de risque saine. Je me blesse, j’y retourne et n’abandonne jamais. Si mon âme est encore assombrie, la roche me transmet une force vivifiante. On ne choisit pas l’escalade par hasard. Les grimpeurs dopés à l’adrénaline, sont dans une extase qui leur permet de se sentir vivants […] Indépendant aussi, car l’autonomie est une valeur essentielle et, si elle n’est pas innée, elle s’acquiert à force d’entraînement, de connaissance du milieu et de combativité. Il faut savoir se débrouiller».

Après des mois de combats et de travail, il parvient à grimper du « 8 a », ce que les experts de l’escalade considèrent comme un véritable exploit. Parallèlement, il devient kinésithérapeute et «accessoirement»… père de famille. L’occasion de bousculer de plein fouet la ronde des clichés sur le handicap qui le touche. Non, les aveugles n’ont pas davantage de sensibilité que les autres, ne développent pas un sixième sens, pas plus qu’un toucher magique. Ce n’est donc pas un ouvrage sur le développement personnel ni une leçon de courage, pas plus qu’une incitation au dépassement de soi dont parle Nicolas Moineau. Qui plus est, il est assez cash sur sa manière de vivre. Et révèle aussi une leçon de philosophie. «La beauté a-t-elle de l’importance pour celui qui ne verra jamais l’objet de son désir ? Combien de fois m’a-t-on dit : “toi la beauté tu t’en fous !” […] La cécité ne protège pas du fait qu’on préfère a priori un joli corps, plutôt mince, ferme, actif. Ce que je ne vois pas, je le touche; la grâce se devine dans des courbes joliment dessinées, comme le marbre des statues antiques. Quiconque les effleure peut se faire une idée de la beauté».

Nicolas Moineau est devenu champion du monde d’escalade de difficulté en 2012.

A Perte de vue, de Nicolas Moineau, édition Arthaud, 256 pp., 19,90 euros.